jeudi 13 janvier 2011

Apatura iris

la petite boite Blanchard habituelle
avec deux femelles en bas
je vais vous expliquer ci-dessous

Le grand Mars aux reflets changeants


(de Colette)


Vous connaissez forcément les papillons Morpho, bien connus du public car encadrés par les marchands, ils continuent de briller dans leur boite de leurs reflets métalliques bleu-intense, ce qui les rend spectaculaires.

Colette s’y connaissait en papillons : elle a écrit le texte de « Splendeur des Papillons », orné de douze planches couleur de papillons exotiques, en 1938, librairie Plon, Paris, dans la collection…Iris !

On y voit sur la première page un magnifique Ornithoptère des îles de la Sonde, couleur cognac, couleur vieil or, le must évidemment pour vanter les papillons au plus grand nombre, en commençant par les exotiques chatoyants Ornithoptères (qui sont des Papilio) ou Morphos, (qui sont des Nymphalidae comme notre grand Mars),…bleus et iridescents…

Dans son « Journal à Rebours », elle décrit les chasses de ses deux frères aînés, Achille et Léo, quand ils avaient seize et douze ans et qu’ils s’étaient mis en tête de former une collection de papillons. « les avides adolescents d’aujourd’hui imaginent difficilement ce qu’était une longue jeunesse loin des villes, avant la bicyclette, le cinéma et les musiques captives, sans automobiles, sans sport raisonnés. J’oserai affirmer que nous étions pourtant très heureux…Il nous restait l’étude, la lecture forcenée et ses muets délires, il nous restait la botanique et l’amour de collectionner les papillons, en admettant que l’un puisse aller sans l’autre. Les noms des plantes, je les appris pendant que mes frères collectionneurs traquaient le papillon sur sa fleur nourricière. »

Les deux frères se piquent au jeu, trient les exemplaires conservés suivant leur taille et leur fraîcheur, « n’y admettant que des exemplaires sans tare, des lépidoptères au maximum de leur taille, au plus vif de leur coloris. » Ils apprennent les techniques de chasse : « Ils savaient qu’à telle espèce convient le guet immobile, que telle autre exige une course de rallye –ainsi du Grand Mars farouche, qui emporte en plein ciel la flamme violette de ses ailes et survole les forêts. »

La flamme violette de ses ailes….

Une question pour les européens que nous sommes, consiste à savoir si, nous aussi, disposons de papillons irisés.  J’utilise à dessein le qualificatif irisé, car il va justement servir à nommer notre papillon : Apatura iris.
Nous sommes cette fois-ci dans la famille des Nymphalidae. Sous-famille des Apaturinae. Qui dérive de Apatén, terme grec, signifiant : où se cache, en référence à la chenille (je ne l’ai jamais vue), parfaitement camouflée sur les branches de saules et peupliers, la tête prolongée de deux protubérances comme foliaires. Iris, c’est facile : la déesse de l'Arc-en-ciel, et messagère des dieux.


Elle était fille de Thaumas et d'Electre. Elle était considérée tantôt comme vierge, tantôt comme amante de Zéphyr et mère de Eros. On a le choix !



Iris, portait les messages des dieux et plus particulièrement d'Héra et préparait leur toilette. L'arc-en-ciel était la marque de son passage.

Le grand Mars aux reflets changeants est un grand papillon, d’envergure 55 à 75 mm. Les ailes sont brun clair avec des taches sombres et blanches, et avec une bande centrale étroite, disposée irrégulièrement. Les ailes postérieures sont de la même couleur avec une bande foncée dans la zone traversée par la nervure post-discale. Les postérieures se terminent par un ocelle clair, qui sert, comme nous l’avons vu pour Machaon, de leurre aux prédateurs, ou mieux de lest s’ils happent ces faux yeux plutôt que le papillon tout entier. Dessous, les couleurs sont chatoyantes, où se mêlent les rouge ; vert ; marron ; noir. Des ocelles toujours, pour tromper son monde ; et les taches blanches pour ressembler aux ombres que font les feuilles dans les sous-bois.
Le dimorphisme, comme dans tous les Apaturinae est très marqué: les femelles un peu plus grandes ont les couleurs décrites ci-dessus, alors que les mâles, sous un certain angle du soleil, voient leurs écailles devenir  bleu irisé. Ce qui est amusant c’est que l’angle suivant lequel la lumière est renvoyée est fondamental, ce qui explique que souvent, on perçoit une aile violemment irisée, mettons côté droit, alors que le côté gauche restera complètement terne. Les photographes doivent cultiver cette particularité et il faut prendre des tas de photos, pour finalement tomber sur celle dont on rêve : voir les irisations flasher sur toute la surface.
le grand Mars d'Anne, dessous

Il existe chez Iris des aberrations, qui ôtent les taches blanches du dessus. Alors, les mâles peuvent prendre une irisation bleue totale, ce qui est le cas de la variété Iole.

Les femelles, par contre, sont privées de ce don et ne provoquent aucune irisation. C’est là que se situe la comparaison avec les Morpho d’Amérique, ou les Ornithoptères dont les femelles paraissent dessinées à l’encre de Chine, ce qui excite la recherche de l’amateur naturellement.

Vous pensez bien que cette merveille, il me fallait la voir ! Jeu de mots !

Alors, j’ai du organiser des chasses.

C’est un papillon de la forêt, il faut imaginer un biotope humide, des chemins forestiers  constituant des trouées qui faciliteront le vol. La nourriture pas loin : peupliers et saules, du genre salix. La date, facile à retenir, c’est le quatorze juillet. Vaut mieux qu’il fasse beau. Et notre forêt idoine à nous Montalbanais, c’est la forêt de la Grésigne, à l’Est du Tarn-et-Garonne, précisément en lisière du département du Tarn. Les collectionneurs y sont généralement nombreux pour chercher des carabes eux aussi irisés.

Iris a une particularité : il ne suce pas comme ses copains le suc des fleurs ; mais il se repaît des matières avariées, riches en odeurs de pourriture, et en produits chimiques divers, azotés et phosphatés, résultant de la décomposition des matières organiques. Le secret consiste donc à se munir d’appâts, comme on le ferait pour attirer un fauve dans la steppe africaine. Ou les gardons dans une rivière à la sortie des égoûts. Une tête de veau un peu fermentée par exemple, ça va. Un tas des déchets résultant du nettoyage des truites, achetées au marché, et qu’on va faire griller le soir, (une fois lavées) ça va aussi. Cela va d’autant mieux que l’on aura laissé fermenter le tout quelques jours, pour que la décomposition soit bien avancée, et que l’odeur en le manifestant puissamment signale à notre Apatura qu’il peut venir efficacement se goinfrer de matières fécales ou dégradées. C’est ça sa tasse de thé !

Cela n’a rien de facile de se procurer une tête de veau entière, et surtout de la laisser pourrir. Mais quand on fréquente le circuit sale d’un abattoir comme je le faisais alors, rien de plus aisé que d’y prélever un morceau qui traîne, et qui finirait de toute façon à l’équarrissage.

Je faisais donc alors commerce de têtes de veaux, soigneusement emballées dans des sacs plastique étanches, pour que la fermentation anaérobie soit efficace à l’intérieur, sans que se manifestent trop sur le balcon les effluves sournoises produites par ces macérations.

Chasser Iris était toute une expédition. Les garçons, petits bonhommes de cinq et six ans, ne voulant rater ça pour rien au monde :

Il fallait aller en forêt, le trajet prenant bien une heure, la voiture bourrée de sacs poubelles ; les filets prêts ; boite Newmann. Un seau. Les enfants. Un goûter pour déjeuner. Tout cela devant se faire le matin pour profiter de la bonne heure qui est toujours onze heures quand on chasse les papillons.

Arrivée en forêt, sur le chemin forestier de terre. Descendre en contre-bas à la rivière, et y remplir le seau. Voilà pourquoi il fallait en emmener un. Arroser le chemin, pour faire croire qu’il avait fait un orage récemment. Apatura aime ça, il faut lui créer l’ambiance  !

Sortir le sac poubelle. Sortir la tête de veau….ouf ! quelle odeur ! Les gosses, ne touchez pas ça, c’est dégoûtant ! S’éloigner de plusieurs mètres. Car Apatura est farouche, et s’il sent la foule, il ne sortira pas. Il est mélomane, et craint le bruit. Les enfants, je vous prête les jumelles !

La première fois, nous sommes à l’affût, et j’ai l’oeil rivé dans les oculaires. Grand coup d’adrénaline : un reflet métallique descend de la canopée ! Et il fait des ronds au-dessus de l’appât, les narines apparemment chatouillées par l’odeur (suave) du festin. Il fait des ronds en descendant, et à chaque cercle, je prends un éclair bleu dans les jumelles. C’est féerique ! Il atterrit, sort sa trompe jaune (pourquoi jaune, si ce n’est faire joli comme un contraste avec le bleu ?). Et commence à sucer. Alors là, il est comme serait un mec devant une tête de veau justement, avec de la sauce gribiche. Il a fermé ses écoutilles, n’entend plus rien, et il se gave, goulûment.

Un banquier sur un dossier de subprimes ! Sourd à tout ce qui n’est pas le profit !

C’est à ce moment précis qu’un gosse sort comme catapulté par un ressort, filet à la main : empêchez donc un gosse de vouloir le capturer ! d’aider son papa par surcroît !

Iris entend le bruit, et file dare-dare dans la ramée.

Ce sera tout pour la chasse de la première année, et nous ne le reverrons plus.
 
moi je n'en ai jamais tant vu à la fois : ça se passe en Hongrie !

L’année suivante, je pars seul, recommence le manège, jusqu’à ce qu’une voiture passe sur le chemin, au moment même où Iris prenait son repas. Il s’envole ! Loupé encore une fois ! C’est ça la chasse à l’affût : plein de surprises ! Je poursuis le dimanche suivant, la saison de vol doit durer quinze jours, et si je veux capturer un mâle frais, je ne dois pas trop tarder !

Je finis par en prendre un, pas facile de plaquer le filet d’étamine sur la tête de veau. Il faut tout laver en revenant !

Il me faudra quatre ans pour remplir une toute petite boite. Puis correspondre avec des éleveurs allemands : comment font-ils ? Ils font pondre des femelles. Où les trouvent-ils, on ne les voit jamais descendre de l’arbre où elles se cachent ! Ils élèvent les chenilles toutes vertes, avec des cornes comme des chèvres ! Se transformant en une chrysalide verte couleur anis, les deux cornes se reproduisent sur la tête ! Camouflage, toujours camouflage. Je finis grâce à ces échanges à avoir deux éclosions de femelles, toutes fraîches, grandes et belles, mais ternes.

Avec les photos des chenilles et les peaux vides de chrysalides, je puis terminer ma micro-collection ; mais que de manques dans ma connaissance de la vie d’Iris : il faudrait que je déménage dans une zone plus propice.

Sur Internet, me baladant sur des sites d’amateurs hongrois, j’ai trouvé de petits films qui montrent des scènes hallucinantes : on est sur un chemin forestier, je connais. Il y a une belle crotte de cheval, sans doute est-elle bien odorante, je connais aussi. Mais la crotte est recouverte d’au moins cinquante Grand Mars. Et ils se battent à coup d’ailes. Ils les ouvrent et ils les ferment, leurs ailes, à grand coup de flashes bleus ! Survient un frelon, ils le poussent ! Il n’y en aura peut-être pas pour tout le monde ! Alors chacun se pousse du coude ! C’est un spectacle de paradis terrestre d’une grande beauté, tous ces grands papillons. Ils sont chez eux manifestement, leur biotope est riche, les chevaux y crottent en toute simplicité, et ils y habitent en quantité.

Il faut monter un voyage en Hongrie, dans les Carpates !

Y retrouver le paradis terrestre !