vendredi 14 janvier 2011

sur la piste du Dorycnium

non, ce n'est pas du thym !

Dorycnium suffructicosum

Nous allons pour une fois commencer par la plante, mais rassurez vous, nous allons parler d’une Papilionacée, pour ne pas trop vous égarer ! Les papilionacées sont appelées aussi Légumineuses ou Fabacées. Tout ça parce que le port de leur fleur (la fleur du petit pois ou des pois de senteur) fait penser à un papillon, avec un étendard, des ailes et une carène, qui figurent l’animal posé, ailes repliées verticalement.

Du latin papilio "papillon", donc, à cause des pétales inégaux ressemblant à l'insecte.


On compte dans cette famille aussi bien des arbres et arbustes que des plantes herbacées dont le fruit est une gousse. La gousse du petit pois ! Il y a le baguenaudier (Colutea Arborescens) ainsi appelé par Linné (encore lui, qu’est-ce qu’il bossait !) qui est un petit arbuste de 1 à 5m, célèbre pour ses énormes gousses aux parois presque translucides. Il y a l’astragale de Montpellier. Et la Badasse à cinq feuilles, notre Dorycnium. C’est un sous-arbrisseau dixit la littérature de 20 à 50 cm, en touffes formant une boule cendré-verdâtre, un peu comme du thym, mais ce n’est pas du thym (famille des Lamiacées). Port buissonnant, ramifié en tous sens, à tiges tortueuses, ligneuses à la base. Vivace, xérophile.  Les feuilles sont en folioles étroites, en verticilles. Les fleurs sont regroupées sur un long pédoncule, en avril jusqu’à juillet. Sol calcaire, même sec, même pauvre.

Une belle plante typique de la flore méditerranéenne.

Comme la truffe, Dorycnium est donc d’essence modeste, mais révèle des trésors à qui le fréquente assidûment.


C’était une technique d’approche de Robert Blanchard justement : au lieu de chasser les papillons par ordre alphabétique, pourquoi pas, par familles, ou mieux par ordre chronologique d’apparition au cours des saisons, ce que nous pratiquons tous de fait, il se spécialisait dans une plante-hôte, une plante nourricière : qui la dévore m’intéresse, donc je la suis au cours de la saison, pendant quelques années, et je verrai bien ce que je trouverai dessus.


Cette technique a fonctionné tout à l’heure, vous aurez remarqué, pour la Biscutelle : trouvant la plante, le chasseur pouvant trouver la chenille qui s’en repaît.


Parmi les préceptes dont le Maître m’instruisait, et avec quel discernement, il m’avait donc conseillé de me spécialiser dans l’observation du Dorycnium. Un des avantages collatéraux était d’ailleurs, à une époque où pourtant l’essence était plus abondante, d’économiser les frais de déplacement, en se rendant systématiquement au même endroit, au lieu de patrouiller à tort et à travers. Economie de temps et d’argent.


Me rendant à Cahors depuis Montauban par la Nationale 20, aujourd’hui remplacée par l’autoroute qui nous sert à nous rendre à Vichy, voire plus au nord encore, il nous suffisait ainsi de nous donner rendez-vous au bord de la route, au pied d’un réservoir stockant l’eau potable rare dans ce causse, et d’un repérage facile.


Il existait un autre repère : la borne kilométrique Cahors 19Km. Entre les chênes truffiers l’espace vide est comblé de plantes basses, et nos touffes vertes de Dorycnium étaient nombreuses, de part et d’autre de la route. Il y en avait à la Madeleine, quelques kilomètres auparavant. Aux Albriols, sur le versant ouest de la montée qui mène, depuis Bruniquel, en forêt de Grésigne.


Et chaque bouquet, chaque are de causse où pousse cette plante, c’est « une station ». Cette station forme un espace facile à fouiller. Un peu comme on le fait pour la pêche à pied en Bretagne, le principe consistait à inspecter chaque touffe ; chaque brin ; chaque fleur, pour  identifier tout ce qui y résidait.


Ce genre de station est réputé pour être extrêmement riche : cinquante espèces au moins ont pu être recensées sur le Dorycnium. Certaines, comme les Zygènes, lui sont spécifiques. Et quelques unes (« là où vit la plante… »), l’ont suivi depuis la lointaine méditerranée.


Le nom « terre des merveilles » signifie vraiment quelque chose ! 


On y trouve tout d’abord des mues vides de cigales. C’est toujours une trouvaille surprenante, car l’adulte est sorti de là sans abîmer quoi que ce soit : l’abdomen ; le thorax ; les 6 enveloppes des pattes ; les ailes ; la trompe, tout y est intact, et donne envie de conserver cet écrin.


Un autre jour, on tombe sur une chenille magnifique : une ourse, mais dont les poils, la toison devrait-on dire, la peau comme s’il s’agissait d’une fourrure précieuse, est colorée d’un beau jaune. C’est justement Diacrisia Purpurata.


Alors recommence le cycle infernal : élever du Dorycnium sur son balcon. En nourrir Diacrisia. La loger dans une boite à chaussures (vide) pour qu’elle y tisse son cocon jaune. Et attendre l’éclosion. En sort une magnifique écaille, une Arctiidae, avec la même forme en triangle de l’Ecaille Chinée. Seulement les ailes antérieures sont veloutées d’un beau jaune, marbré de brun la même couleur que la fourrure de la chenille ! Les postérieures pour produire leur fameux effet flashie sont d’un beau rouge, avec des points noirs. Une magnifique écaille, une superbe association de couleurs une fois de plus.


La femelle pond en juillet, et la petite chenille hiverne. Et reparaît en mai. C’est là que nous arrivons, en ce début de saison de chasse.




Le premier mai 1972 exactement, venant à peine de muer, encore toute proche de sa pelisse d’hiver, roulée en boule qu’elle vient de quitter, aux Albriols.


Le 6 mai, à Fontanes, dans un autre buisson de Dorycnium ; et les jours suivants.

 

Le 24 mai aux Albriols. Elles ont considérablement grandi, et sont devenues de belles bêtes, poilues, la fourrure d’un beau jaune.


La chrysalide, marron lustré, est formée dans un cocon lâche.


Le 6 juin, le premier couple éclôt. Le 16, un mâle vient sur le drap, attiré par les ultra-violets, à Montpezat. Le 18, éclosion de la seconde femelle : corps gros, antennes filiformes, ailes postérieures rouge-vif, avec de gros points noirs. Le 19, deux mâles. Point final, à trois heures du matin, un mâle aux antérieures très marbrées, le 7 juillet à Montpezat.


Et d’UN pour le Dorycnium !



ma grande boite Blanchard d'Arctiidae-purpurata est à gauche
Quand on fouille le Dorycnium, on finit par se concentrer sur ce qu’on trouve dans ses buissons. Mais il n’est pas mauvais d’avoir un filet à portée de la main, au cas toujours possible où des individus voleraient dans le coin !

On dit que le pire n’est jamais sûr, mais un petit bonheur aussi peut parfois s’ajouter au bonheur précédent pour faire de grands bonheurs !


Car le mois de mai, le joli mois de mai dit la chanson enfantine « qu’il est joli et qu’il est donc gai, les oiseaux des champs chantent le printemps, ah qu’il est bon d’aller aux champs »…


Le mois de mai est le mois des amateurs de papillons :  c’est le point d’orgue de ceux qui ont une première génération, et souvent aussi de ceux qui ne paraissent qu’une fois par an. Ils ont calculé que la nourriture y était abondante et avait plusieurs saisons d’avance avant l’hiver, cela pour  rentabiliser la vie de leurs chenilles. Alors c’est une saison à ne pas rater.


Le Maître m’avait dit de porter attention à Fidonia Plumistaria, qui est la phalène à plumets. Sa famille est celle des géomètres. Cette désignation venant du fait que la chenille, qui cherche à ressembler à un rameau, a ses pattes tout devant ; et tout derrière ; c’est ainsi que pour marcher, elle soulève tout le corps, formant un arc, pose le devant ; lève l’arrière, le rapproche, et le pose. On dit qu’elle arpente. C’est l’arpenteuse, c’est une géomètre. Les jardiniers n’aiment pas les géomètres (il y en a une magnifique sur les groseilliers) parce que ce sont souvent des ennemis de leurs cultures. On sait ce qu’on en fait des ennemis des cultures : on les arrose avec des pesticides, de manière systématique, en utilisant le principe de précaution qui dit qu’il vaut mieux tout tuer avec des doses surabondantes comme ça on est tranquille, le principe des américains arrosant les terres du Vietnam au napalm.

 

Verra bien qui survivra !


ou Dieu reconnaîtra les siens !


L’une des plus jolies espèces de phalènes est bien notre plumistaria qui habite le midi. Ses ailes sont fauves, recouvertes d’atomes noirs agglomérés par places, figurant des taches et des bandes. Et les mâles, toujours eux, arborent des antennes magnifiques. Des plumes quasi d’autruche (en proportion), formées d’une hampe jaune, sur laquelle sont attachées de part et d’autre les fameux plumets noirs. A la fois délicats et abondants, ils occupent tout l’espace devant les yeux, ce qui donne aux mâles un air d’ados timides soucieux qu’on ne voie pas l’éclat provocateur de leurs yeux quand ils se livrent délibérément à une activité interdite.



Les femelles sont un peu plus petites, et n’ont qu’un fil à coudre noir en guise d’antennes, et vous en connaissez maintenant par cœur le motif. Elles pondent leurs petits œufs sur les tiges de Dorycnium, et l’œil avisé du chasseur les trouve facilement ; après l’éclosion, la chenille est d’un jaune terreux, avec une raie latérale et une couleur jaune clair, le camouflage habituel. Et elle mesure inlassablement les petites tiges, en se goinfrant des feuilles verticillées. In fine, elle se construit une jolie coque dans la mousse, pour y cacher sa chrysalide.


Le papillon éclot en mai, et vole effectivement dans nos stations préférées du midi du Lot. Il ne faut pas abîmer les plumets, mais il faut avouer qu’avec le dessèchement, ces derniers perdent de leur grâce dans la boite de collection.

il y a même une ponte sur une vieille brindille
Mais Fidonia reste gracieux tout de même, et digne de sa plante-hôte !

Et de DEUX pour Dorycnium !


Il faut maintenant que vous explique les Zygènes !


Comment commencer ? Eh bien les Zygènes sont des papillons de la famille des zygaenidae ! ! Rien que ça dit google qui sait tout théoriquement. Mais reste approximatif, dès que ça commence à devenir difficile ! En fait, en grec, zygène signifie massue, et désigne par exemple le requin marteau. Ici ce sont les antennes en massue qui servent de point caractéristique commun.


voilà ma toute 1ère boite Boubée, qui existait encore à Paris-St-Michel

Ce sont de petits papillons :


-          taille moyenne, 2 à 4 cm d’envergure
-                     silhouette massive, abdomen épais, aspect trapu
-                     deux antennes fortes, tenues horizontales comme des cornes, élargies en longue massue vers l’extrémité
-                     trompe bien développée, visible de profil
-                     des ailes disposées en toit au repos, cachant les postérieures
-                     les antérieures étroites, vivement colorées d’aspect métallique contrastées, les postérieures souvent rouge, provoquant l’effet flash. Elles sont attachées par un frein, qui donne son nom d’Hétérocères ou « papillons nocturnes » à leur groupe.des mœurs diurnes
-                     un vol lourd et maladroit, malgré des battements d’ailes très rapides
-                     Il y a 35 espèces en France, très difficiles à identifier à cause de la ressemblance des adultes. D’où l’intérêt des élevages, les chenilles étant dans ce cas souvent dissemblables.
-                     Dernière particularité pour le chasseur : rien ne sert de vouloir tuer les prises dans le bocal de cyanure, ou d’éther médical : elles résistent ! La solution consiste à leur faire une piqûre d’ammoniaque, avec l’avantage que les articulations restent ainsi très souples, facilitant l’étalage ce qui est appréciable s’agissant d’un petit papillon à ne « manier qu’avec des pincettes » si l’on peut dire !




La Zygène la plus répandue et la plus connue est la Zygène de la filipendule, de la Spirée. Les antérieures sont noires avec des reflets bleus ou verts. Elles comportent six points rouges, parfois jaunes, qui expliquent le nom anglais de six-spot Burnet. Les deux points distaux peuvent fusionner en un seul, d’où le risque de confusion avec la zygène du chèvrefeuille (lonicerae) five-spot Burnet. Les ailes postérieures sont rouge vif bordées de noir. Envergure 3 à 3,8cm.  L’adulte affectionne les fleurs de scabieuse des champs (Knautia arvensis). La chenille jaune avec deux rangées longitudinales de points noirs, vit sur le trèfle ; et autres fabacées comme le lotier corniculé. Elle hiberne sous forme de larve, et se métamorphose dans un cocon qu’on croirait fabriqué en papier mâché blanchâtre, attaché à la tige de la graminée qu’elle a choisi comme support. Elle en sort en entraînant sa chrysalide qui reste attachée, vide comme celle d’une cigale, à l’entrée du cocon.


C’est un papillon aposématique, qui se signale toxique aux prédateurs, oiseaux ou lézards, par ses couleurs. En cas d’attaque, il émet un liquide contenant du cyanure, auquel il est donc familier, comme en  fabriquant lui-même !


Cela ne sert à rien de vouloir trouver la Zygène de la filipendule dans nos stations, où elle est courante et nous sert d’étalon, car mieux vaut rechercher les variétés beaucoup plus rares qui y vivent pourtant !


La zygène de la lavande par exemple ! lavandulae ! ça sent déjà bon la Provence !


Elle possède une coloration bleutée, et tout devant, un collier blanc duveteux caractéristique. Sa chenille justement mange…la badasse, d’où la controverse qui consiste à mettre comme second nom celui de la nourriture, Dorycnium donc, et non pas la lavande dont le papillon adulte suce les fleurs mellifères comme le fait n’importe quel insecte.


Je la trouve dans nos fameuses « stations », grise, marquée des points noirs habituels, flanqués chacun d’un contrepoint jaune. En partent des bouquets de poils gris. Ce qui est amusant, c’est que dans les cartes départementales déclarant la présence officielle de l’espèce, le pourtour de la méditerranée, le Lot n’y figure toujours pas !


Et il y a rhadamantus, l’adulte arbore une robe gris foncé. D’où le nom de zygène cendrée. Les points rouges sont soulignés chacun par deux traits de crayon noir, on dirait le maquillage de sortes d’yeux, le sourcil dessus ; un trait de kohol dessous ! Je trouve la chenille en forme de cloporte, ourlé de gris, toujours les petits points noirs et rouge, mangeant les feuilles à sa mesure de petite chenille, de la Badasse. Le cocon n’est plus long, mais oblong comme un œuf de pigeon, toutes proportions gardées, toujours collé à une brindille.



Le cocon devient jaune avec Occitanica. Chez l’adulte, les taches rouges sont soulignées d’un trait couleur or. La petite chenille est vert-pâle.

Il y a encore Carniolica, qui lui ressemble, sauf que la chenille est carrément grise.


Toutes ces prises, et tous ces élevages occupent bien le mois de juin, et conduisent à des rendez-vous fréquents près du kilomètre 19 de Cahors. Il y a là toute la faune de la méditerranée, enfin presque, et plus on cherche en fonction du calendrier, plus on trouve sans se déplacer beaucoup.

 

Robert Blanchard, lui, est repu de toutes ces découvertes : il y a passé une vie de chasseur de papillons, et est passé au stade au-dessus : il se spécialise dans l’élevage d’ephialtes, et joue à élever peucedani, qui ressemble comme une goutte d’eau à athamantae : mêmes ailes antérieures sombres parsemées de six points rougeâtres ; mêmes postérieures rouges bordées de vert foncé ; même anneau rouge sur le corps vert sombre.


Par contre, medusa et coronilla ont des taches blanches dans les antérieures, et les postérieures sont de couleur sombre comme les antérieures, sans quasiment de points à part deux minuscules blancs. Le corps possède l’anneau rouge chez medusa ; mais il est blanc chez coronilla. Alors il sépare tous ces adultes. Forme des couples qu’il laisse ensemble en cages. Les femelles pondent, et il tient une comptabilité précise de tous les résultats ; cela dure toute une année, et il faut compter aussi les naissances, pour guetter le nombre de corps annelés de blanc, et ceux annelés de rouge.


On atteint là le grand Art des généticiens, et j’avoue décrocher un peu. Mais je reste admiratif, ce qui ne déplait pas au Maître, finalement fier de son disciple ! Je possède toujours un manuscrit, sur des feuilles de papier à lettres, vous savez marqué par des lignes horizontales, facilitant la calligraphie à la plume penchée des professeurs du siècle dernier. Le titre est celui-ci :


« Essai d’introduction du caractère jaune dans une population de Zygaena Ephialtes : formes Peucedani, Amanthae ou Medusa du Lot/France ».


De quoi en faire une thèse de Docteur ! Il y a les caractères dominants. Les récessifs. Un tableau à 4 entrées obéissant aux lois de Mendel crée seize possibilités. Et la forme jaune qui n’existe naturellement qu’en proportion du seizième. Notre dottore matheux calcule le critère de Pearson pour vérification expérimentale. Il prouve que les peucédanoïdes rouges sont en proportion de 24 ; les jaunes de 9. Les ephialdoïdes rouges 6, et les jaunes recherchés 3.


Il obtient en 1988, quatre ans après le lancement de l’expérience, quelques exemplaires du jaune rêvé. L’introduction expérimentale est réussie ; Il doit y en avoir dans la nature aussi ! même s’il est pratiquement introuvable !


quelques "récessifs" de R.Blanchard, introuvables dans la nature !

C’est pour cela que je l’admire comme un Maître !


Je n’ai pas compté, je suis loin des cinquante espèces,


mais ça fait pas mal de résultats à l’actif du Dorycnium, non ?