samedi 26 mars 2011

Vous avez dit : Catocala ?


Les beaux dessous de la mariée !



Le genre Catocala regroupe les papillons nocturnes de la famille des Noctuidae. Les papillons nocturnes, je ne vous en ai pas trop parlé parce que j’ai dormi la nuit pendant toutes ces années, et je préfère les nocturnes qu’on peut attraper le jour, quand eux dorment pour éviter d’être éblouis, et que moi, je me mets au soleil pour soigner ma claustrophobie. Le jeu consiste alors à visiter des abris sombres où ils ont pu se cacher, et leur chasse devient une exploration des grottes, des dessous de tunnels de chemins de fer abandonnés du Lot ; des tunnels routiers, des ponts, et de tout appui de fenêtre susceptible de créer une ombre suffisante pour protéger leur héliophobie.

Pour une fois, pas besoin d’aller chercher à Olympie une allusion à la mythologie grecque. Un bon dictionnaire (grec) va faire l’affaire, puisque Catocale, nom féminin, vient du grec katô, « en dessous », et kalos, « beau ». Non pas que ce soit un « Catho-beau », mais un « beau-en-dessous ». Ceci pour la traduction littérale telle que vous la rend un ordinateur, qui n’y connaît rien en jolies femmes. Si l’on y réfléchit un peu, avec les données dont vous disposez maintenant, il faut comprendre : féminin : « elle », donc « une belle » ; « Belle vue de dessous » ? Non vous avez une fois de plus l’esprit mal tourné : la véritable traduction est :

« Belle (ou beau puisque peu importent le sexe) dessous ».
Tout simplement.

Je vous accorde qu’on ne comprend vraiment ce que ça signifie que quand on voit le papillon.

Alors ça vous paraît en effet évident :


Une Catocale vue de dessus, ressemble pour la forme à un triangle équilatéral. En haut, tête et yeux, surmontés de deux antennes vraiment filiformes, pas forcément visibles si elles sont rabattues de chaque côté du sommet. Un triangle équilatéral coupé de haut en bas par une perpendiculaire, qui le divise en deux parties égales forcément, qui sont l’aile gauche et l’aile droite, rabattues en position de stationnement au sol. La partie basse du triangle est ornée de petits festons blancs, presque des dentelles, qui participent comme on va le voir au look genre lingerie fine de l’objet.

Ceci pour la forme.

Pour le dessin, et la couleur, les découvreurs des années 1840 ont trouvé un nom commun assez bien venu : Lychenées. Et ils avaient deux bonnes raisons : le camouflage du triangle est exactement une reproduction d’écorce ou même de pierre qui serait recouvert de lichen. Dessins ; et couleurs identiques. Gris lichen.

Seconde raison : vous savez que dans l'écosystème, les lichens sont une source importante de nourriture pour de nombreuses espèces, y compris parfois pour de grands mammifères (rennes ou caribous en particulier). Eh bien les chenilles de Lichenées (Noctua promissa, Noctua sponsa, Noctua nupta (= Catocala nupta) ont été nommées ainsi parce qu'elles se nourrissent des lichens qui poussent sur les arbres. Pour les allemands : Perlacher Forst, à München (pour nous Munich).

J’y vais lentement pour que vous assimiliez bien, et je n’ai pas fini, puisque j’en suis toujours au triangle équilatéral  au dessus.

Vous vous rappelez l’effet flash ? Qui consiste quand le papillon ouvre les ailes, à présenter aux yeux ahuris de l’observateur un flash de couleurs ?

Eh bien les Catocales utilisent cet effet (elles ont du se passer le mot avec les Arctiidae, les Ecailles, celles dont les chenilles poilues ressemblent à des ourses) ; leurs ailes postérieures revêtent des couleurs vives ; rouge ; jaune ; bleu, des couleurs vives mais sur un fond noir, pour que le contraste fasse un effet maximum.

Qu’est-ce que c’est bien fichu !

Et je suis arrivé au bout de ma traduction (c’est pour cette raison que les jeunes n’apprennent plus le Grec voyez vous, il faut une demi-page pour traduire deux mots !)

« Belle dessous », qui fait allusion aux couleurs en vol.

Si l’on transpose chez nous, ça serait une dame, vêtue d’une robe stricte, mettons du noir ça fait très chic. Et pour créer un effet flash, (mais elle réserverait cet effet pour un monsieur qui lui serait familier, mettons son mari), elle aurait sous sa robe stricte une combinaison du plus beau rose. Enlevez la robe strict, et le monsieur grimpe aux rideaux suivant l’expression consacrée en voyant l’affriolant dessous.

Je vous ai déjà parlé d’anthropomorphisme, et cela m’amène à vous donner une dernière clé : les goûts particuliers que les Lychenées partagent avec nous.

Car elles aiment le miel, comme nous. Pas sur un toast avec le thé à cinq heures, quand-même pas, mais avec un pinceau vous enduisez le tronc d’un arbre (du côté opposé à la pluie)  d’une « miellée ». Et aux premières heures du jour (car je dors la nuit comme je vous ai déjà expliqué), je trouve rassasiée la « Belle dessous » en position de repli, en triangle équilatéral, gavée de miel et donc prête à être cueillie avec le filet à papillons. Vous avez noté que le féminin est générique, et que ça peut très bien être un Monsieur, sachant que j’ai un mal fou à reconnaître les sexes, car ils sont pareils extérieurement.

Plus fort encore, elles aiment le vin rouge. Pas besoin de sortir un Grand Cru Classé : un pinard quelconque du Languedoc (je vais m’attirer des inimitiés) peut faire l’affaire. Un fonds dans un bol. Et ça fonctionne de la même façon, avec le risque que la « Belle-dessous » ne s’abîme dans la flaque voilà pourquoi je préfère la première manière, plus chic et plus propre.

Alors vous savez –presque- tout de ces magnifiques Nocturnes, qui cachent bien leur jeu sous leur allure de lichen volant.

Près de Cahors, nous en avons exploré des tunnels : naturellement, il faut venir très tôt le matin, car tout dérangement va amener notre papillon à s’envoler pour chercher un coin plus tranquille ailleurs. Alors on trouvait ce qui pour moi reste le must des Catocales : C. fraxini. Je vous ai dit que c’était simple à comprendre : sa chenille mange le lichen sur le frêne. Pour les allemands, c’est : Blaues Ordensband an Köder. Blaues : bleu ! Pour les anglais :  Blue Underwing ! « La Belle-aux-dessous-bleus ! » C’est un grand papillon d’une belle envergure de neuf à dix centimètres, qu’on trouve toujours en faible nombre en août et septembre.

Vous voyez : il ne faut pas beaucoup de bleu dans cette simple bande pour que l’effet artistique soit réussi ! Et vous admirez les dentelles !



La Catocale la plus connue est la « Mariée ». C’est une Mariée très french-cancan car sa combinaison-de-dessous est rouge ! C’est une mariée de seconde main, sa robe aurait du être blanche, mais savoir ce qui s’est passé dans la tête de Linné en 1758, je renonce et pourtant ça pourrait être intéressant. Il l’a nommée « Catocala nupta ». The red underwing Moth. Et maintenant que vous maîtrisez la traduction, ce nom ne manque pas de piquant is not ?

Quand je fréquentais la Camargue, et leurs stations de pompage dont le service du Génie rural avait la charge, surtout quand il fallait les reconstruire (combien j’ai passé d’heures sur les plans puisque toutes ont été refaites dans les années 1980 : elles avaient été construites au début du siècle, et méritaient d’être rénovées dans le cadre du Plan de rénovation de la riziculture), je ne manquais jamais de faire le tour. On est en pleine nature, pas loin des digues du Rhône, qui sont plantées d’une ripisylve abritant non seulement hérons mais chenilles. Et le bâtiment qui abrite les pompes est éclairé par des fenêtres avec de larges appuis. Il était courant que sous le linteau supérieur, à l’ombre, je trouve une lychenée qui faisait la sieste. Je revenais le week-end suivant (ne pas me faire voir) pour la cueillir, elle ou sa semblable, et c’est comme ça que j’ai constitué l’essentiel de ma collection de Mariées.


vous voyez qu'à côté des mariées à dessous rouges, certaines les ont jaunes !
et l'énorme mariée du centre est exotique bien entendu
Et ce n’est pas fini : il y a des dizaines de catocales pas toujours faciles à identifier tellement certaines se ressemblent. Alors Linné et ses copains entomologistes ont du improviser car ils n’avaient manifestement plus l’imagination nécessaire pour trouver des noms vraiment adaptés, mais ils ont persévéré dans le régime matrimonial.

L’un d’eux  a même osé :  il en a nommé une : adultera ! Je vous assure que c’est vrai. Une autre : separata.

Et comme une « Belle-dessous » un peu différente de la Mariée, lui ressemblait pas mal quand-même, elle porte le nom de : promissa, la Fiancée !

Un peu provocatrice la fiancée : elle cherche manifestement à allumer le fiancé, et à se faire passer la bague au doigt (on appelle ça en ce moment : un mariage gris, celui où l’autre partenaire n’est pas consentant, et qui sert uniquement à ce que le premier qui n’est pas né sur notre sol gaulois ait enfin ses papiers). Je me permets d’insister : le gris-des-ailes-dessus…Humour ! Ca se passe chez nos amis anglais et ça donne ça dans le texte :

As the Red underwing moth takes off, the sudden flash of colour may confuse the attacker, and when it lands and immediately closes its wings it may seem to disappear as the colour is "switched off". It is also thought that the symmetrical patterned orange sections on the rear wings form the illusion of another smaller creature (butterfly), so the attacker will go for the colourful "small illusive" rear safe region on the main body of this Red underwing moth species.



Il y a des belles, parfois, qui sont culottées !


Elles exhibent leurs dessous !

Il est vrai qu’il y a des mecs que ça intéresse !


La nature est pleine de malice !