vendredi 25 mars 2011

Malicorne d'Hubert Rives

La théorie du huitième jour
et l’effet papillon


Quand Hubert Reeves a publié Malicorne en 1990, je me suis comme vous jeté sur son bouquin. J’ai l’impression de partager nombre de valeurs avec lui, et il m’encourage à réfléchir à l’existence de Dieu en m’ôtant mes complexes, car je me sens naturellement tout petit devant un sujet qui me dépasse tellement !

Il n’en revient pas non plus, lui qui court les étoiles, d’avoir atterri par un jour de juillet 1932, dix ans avant moi, sur «une planète bleue qui accomplit son quatre milliards cinquante-six millionième tour autour d’un Soleil qui, lui, achève sa vingt-cinquième révolution autour de la Voie lactée».

Un moment essentiel de sa vie a été pour lui l’acquisition de sa ferme de Malicorne, petit village de Puisaye, pays de Colette, en Bourgogne : «Je voulais de grands arbres et mon épouse recherchait un bâtiment en ruine qui nécessiterait plus de dix ans de restauration ! Nous avons finalement trouvé cette vieille ferme qui semblait avoir subi un bombardement et qui abritait de magnifiques arbres et un étang», dit-il ! Nous avons tenté la même expérience en nous installant en 1997 au Sénac à Bajon, près de Masseube dans le sud du Gers, dans ce « balcon des Pyrénées ». Nous aussi avions créé un paradis naturel, au milieu de la nature, avec notre bois de cèpes et de girolles, gardé par un chevreuil ; nous avions laissé le pré pousser naturellement, il y avait des coulemelles en bordure, et puis des papillons ; notre univers de quinze mille mètres carrés permettant la détente, la réflexion et  l’éveil des rêves de nos petits-enfants.

Lorsqu'il parcourt les sentiers qui sillonnent la forêt de Malicorne, ce grand admirateur de la nature s'interroge. La question ancienne de l'existence d'un dieu revient le hanter sous une forme plus moderne. Notre univers répond-il à un projet? A-t-il été pensé ou est-il le fruit du pur hasard? «Quand j'entends la neuvième symphonie de Beethoven, je sens une sorte de présence. Je ne crois pas que cette musique soit le fruit du pur hasard. Je crois qu'il y a quelque chose mais je ne sais pas quoi», confie-t-il.

C’est vrai que c’est mieux quand c’est lui qui le dit !


Connaissez-vous l’expression " le huitième jour "? On dit que la création s’est faite en six jours et que Dieu s’est reposé le septième… le huitième jour, c’est la création qui se poursuit. Et nous serions tous des artisans de ce huitième jour, tous des co-créateurs du monde et de nous-mêmes.

Je crois bien que c’est à Antonine Maillet qu’on doit cette formule de huitième jour.

" J’écris, dit-elle, parce que j’ai l’impression ou le sentiment que le monde est inachevé. Comme si Dieu qui a créé le monde en six jours et qui s’est reposé le septième, n’avait pas eu le temps de tout faire. Je trouve le monde trop petit, la vie trop courte, le bonheur pas assez bonheur. J’écris pour achever le monde, pour ajouter à la création le huitième jour. "

Cette citation d’Antonine Maillet, est tiré d'un chapitre de Malicorne qui s'intitule " L’artisan du huitième jour", où l'astrophysicien sous-entend que chacun d’entre nous devient, qu’on le veuille ou non, le co-créateur de l’Univers. Cela semble beaucoup dire, mais pour être plus modeste, on peut considérer que chacun s’occupe de son coin de jardin dans cet Univers, d’une certaine façon. On retrouve aussi cette citation, en exergue d’un entretien de Hubert Reeves avec Edmond Blattchen, journaliste belge, publié dans la collection " Noms de Dieux".

Dans un chapitre de l'entretien qui s'intitule " À l'origine était le chaos ", Hubert Reeves commente :

" Pour la cosmologie, il y a eu trois grands moments au 20e siècle :

-1928 : la découverte de l’expansion de l’Univers. (L’idée que l’Univers est en constante expansion, ce qui fait que les conditions de vie sont différentes au fur et à mesure que l’Univers prend de l’expansion. Et c’est ce qui a permis qu’un jour la vie apparaisse sur une petite boule quelque part qu’on appelle la Planète bleue.)

-1965, la détection du rayonnement fossile (mais est-ce vraiment le reflet des premiers temps du cosmos?) demande Reeves – parce qu’on s’est rendu compte en regardant très loin dans l’espace, cosmologiquement parlant, qu’on était en train d’observer ce qu’avait été l’état de l’Univers dans des périodes très antérieures. Cela paraît incroyable, difficile à saisir, et moi-même je dois me tordre les méninges pour tenter d’y comprendre quelque chose, je ne vous le cache pas.

-1992 : l’image obtenue par le satellite Cobe, qui nous en donne la confirmation. "

 " Il est rare que la nature nous envoie un message aussi clair », poursuit Hubert Reeves. Cette image appuie vigoureusement l’idée que l’Univers a été extrêmement différent dans le passé. Il a été extrêmement chaud, dense et lumineux. Surtout, et c’est là le plus important pour notre histoire, il a été totalement chaotique, c’est à dire dénué d’organisation. Le contraste entre cet état primordial et l’état contemporain définit en peu de mots l’histoire de l’Univers : comment la matière cosmique est-elle passée de cet état chaotique à l’univers contemporain, si riche en structures variées, atomes, molécules, cellules et organismes vivants, d’une part, et galaxies, étoiles, planètes, d’autre part? " Et puis, la question dont on n’a pas de réponse : «Comment est apparue l’intelligence ? » Cette intelligence qui a amené les problèmes que nous connaissons aujourd’hui. « L’intelligence est-elle un cadeau empoisonné ? »

Alors la vie a-t-elle un sens? Y a-t-il une vie après la mort ? Ce sont des questions qui sont sous-jacentes à cet entretien. Hubert Reeves développe ces interrogations dans le  dernier paragraphe de "Malicorne" : "Dieu n'est plus ce qu'il était". Et d'ajouter : "C'est tout ailleurs que Dieu maintenant se situe. On le rencontre au niveau des interrogations et plus au niveau des certitudes. Il prend sa place dans le voyage intérieur de chacun d'entre nous.

Il est la trame secrète de ce parcours qui se poursuit tout au long de l'existence. On le retrouve mêlé à nos angoisses et à nos questions sur le sens profond des choses."

Pour Reeves, c'est un peu là le résumé de l'histoire de notre civilisation. Pendant longtemps, dans les religions révélées, dieu était la vérité, l'autorité, celui qui donnait un sens à la vie. Après leur déclin, on s'est tourné vers la science en disant : il suffit de savoir, de connaître pour être heureux.

Il a fallu attendre le XXe siècle, explique Reeves, pour que l'homme s'aperçoive que ce n'était pas vrai non plus. La science, c'est ce qui nous dit comment cela marche dans le monde, mais elle ne nous dit pas comment il faut vivre. La science ne nous donne pas de valeurs. Les problèmes subsistent.

C'est cela le sens de "Dieu n'est plus ce qu'il était". On ne le retrouve plus au niveau des certitudes. On le trouve au niveau des interrogations. Nous sommes devant un profond mystère, le mystère de notre existence.

La science peut nous dire comment cela s'est passé, comment nous en sommes arrivés là, mais sur les questions profondes autour de notre existence, la science ne peut rien nous dire.

Pour Reeves, cette évolution est en fait un passage à l'état adulte. "Pour moi, dit-il, les religions révélées, c'est un peu le "prêt-à-penser". Notre civilisation a eu ce défaut de penser qu'on pouvait identifier la vérité en terme de mots, de concepts, de faire des crédo et d'essayer d'y convertir les gens et, au besoin, de les obliger par la force. C'est une lamentable histoire.

On a cru longtemps que la réalité profonde de l'Univers pouvait être enfermée dans quelques mots, c'est ce qui a donné lieu à cette idée de la vérité qui sur ce plan est une pauvre idée dont nous devons nous débarrasser au plus vite."

Le domaine de la science, poursuit Reeves, c'est comment ça marche dans le monde. Le domaine de la religion, de la philosophie, de la morale, c'est le comment vivre. Ce sont deux discours totalement différents. Chacun chez soi.

Ce qui ne veut pas dire que les connaissances scientifiques ne sont pas importantes pour arriver à se faire une idée de notre place dans l'Univers...

Ni qu’il ne soit pas nécessaire de replacer la création artistique dans l'évolution du monde, création qui donne un sens à la vie et ajoute à la beauté du monde, comme le sublime et le cruel, l'un comme l'autre de plus en plus efficaces...

…Nous vous laissons découvrir le meilleur.

Hubert Reeves, à Malicorne, s’est mis à observer les oiseaux,

Et je me suis mis, des années auparavant, à admirer les papillons,

Et me demande toujours qui leur a peint des yeux.

                    
Et à Malicorne, en présence de la nature, Reeves se détend : « Là, une grande paix m'envahit. Attentif aux sons et aux odeurs, je m'éveille à la présence tranquille du monde végétal. Je me sens vivant, à la surface de la planète Terre, à l'instant présent de l'évolution de l'univers. »


La deuxième partie de Malicorne prend les papillons comme prétexte à la réflexion : « Papillons au-dessus d'un champ de colza » ; « Science et liberté » ; «  Papillons et lois de la physique » ; « Le message de Démocrite » ; « Les belles heures du pôle « nécessité » ; Les belles heures du pôle « hasard » ; « Le fouillis des paysages aléatoires » ; « La réconciliation » ; « Les théories du chaos » ; « Sensibilité aux données initiales » ; « Des lois et des horloges » ; « Boucles de rétroaction » ; L'effet « papillon » ; « Un subtil dosage » ; « La thermodynamique et le vol des papillons » ; « La vie n'est pas une exception à la « règle d'entropie » ; « La vie n'est pas condamnée à disparaître » ; « On ne peut pas affirmer que l'univers tend inexorablement vers un état de désordre maximal » ; « Les papillons et l'expansion de l'univers » ; « La nature est structurée comme un langage » ; « La construction de la pyramide » ; « Les équilibres sont stériles » ; « Modes de cristallisation » ; « Les papillons et la flèche du temps » ; « Reconnaître le sens de la flèche » : « Rien de plus ? » ; « Une nouvelle ombre sur l'aujourd'hui » ; « SOS ordinateurs » ; « La séquence du monde » ; « Les papillons font le printemps ». Je vous laisse découvrir ou re-découvrir toutes ces réflexions, dont l’effet papillon dont les médias nous parlent souvent depuis : ignorant encore comment ça marche, ce n’est pas demain que l’on pourra modéliser les conséquences du battement d’ailes d’un papillon, sur la création au bout du monde du plus dévastateur des cyclones. Et pourtant, un fait minuscule au début peut très bien avoir des conséquences qui le dépassent à la fin.


Dans le calme de Malicorne,  l'humaniste médite tout haut sur les motivations et les dérives de la science, sur les origines indéfinissables des merveilles de ce monde, sur ses inquiétudes quant à l'avenir de l'humanité.

Toutes ses réflexions sont ponctuées d'un voyage initiatique à travers l'histoire de l'univers.

« La Terre ne sera plus jamais comme elle était en 1900, par exemple. La vie continuera, elle évoluera, mais est-ce que l'humanité sera capable de survivre ?" L'écologiste qu'il est, notamment comme président de la Ligue « Rassemblement des Opposants à la Chasse » (ROC) pour la préservation de la faune sauvage, fait le point sur l'état de l'environnement et la place de l'humanité qui pourrait bien disparaître, selon lui, lors de la sixième crise d’extinction des espèces qu’elle a elle-même provoquée. Une de ces crises d’extinction a été la disparition des dinosaures il y a 65 millions d’années. Une autre le volcanisme généralisé il y a 245 millions d’années. Les autres il y a 440 millions d'années, 367 millions d'années, 208 millions d'années et 10 millions d'années. Les causes les plus souvent évoquées sont les éruptions volcaniques, les collisions avec des météorites et les changements climatiques. Dans chaque cas, la nature a eu besoin d'environ 10 millions d'années pour s'en remettre. Il prédit pour 2050 une sixième crise de la biodiversité : la cause : elle est bien humaine : c’est la dégradation généralisée des habitats. Une première conséquence : la disparition de 20 à 30% des espèces animales. La vie continuera, mais l’homme peut-il être  épargné ? Il reste en effet très dépendant d’une planète dont les ressources ne sont pas du tout  infinies. Et Reeves montre la terre vue de la lune : une planète sphérique bleue, pas si grande que ça après tout !

« Les théories sont grises, mais les arbres sont verts ». Lui il conte, il dialogue entre ciel et terre avec l'univers ou un papillon : " J'essaie de dire aussi qu'un papillon n'existe pas pour être épinglé dans une boîte de collection. »

Je suis bien d'accord et un peu honteux : j'aurai été un collectionneur passionné pendant quinze ans de ma vie. Il fallait que je les possède mes belles boites de noyer, c'était ma façon de décortiquer la vie, et de m'en accaparer, je le reconnais, une toute petite part de la beauté. Depuis vingt ans, je n'ai plus fait que contempler et photographier les papillons ; et j'ai appris à Thomas à savoir les observer et les élever lui-aussi : c'est naturellement en vie que les papillons peuvent se perpétuer et qu'ils continueront d'être l'un des témoins de la beauté de la création.

"Et j'espère que l'écho répète ! j'espère surtout que tous ceux qui l'entendent le redisent autour d'eux" déclame Reeves !

Il pose son regard sur l'émerveillement du monde et il le ré-enchante !

Je vous offre,  en pensant à  lui,  cette belle image

d’ instant où des Argus donnent la vie !