vendredi 25 mars 2011

Acanthobrahmaea europaea


Il conte e le farfalle.

 (petite leçon d'italien)

Il faut bien se fixer des limites quand on collectionne les papillons. Moi, j’ai commencé par ceux que je pouvais observer, donc la faune européenne classique. En plaine, dans les forêts, et puis en montagne. Et puis j’ai élargi à la méditerranée, le minimum étant d’avoir une bonne connaissance des papillons vivant en Grèce, patrie auxquels ils sont tous rattachés par l’origine mythologique de leur nom. Delphes a tenu ses promesses avec Archon. Pas très difficile d’aller voir aux frontières, Espagne depuis Saint-Gaudens, et Italie depuis Arles et puis Bastia : on avait bien une voisine dont le dentiste exerçait à Venise : elle s’y rendait tous les mois, et en profitait pour acheter des escarpins en veau, derrière la Tour de l’Horloge, d’une souplesse merveilleuse telle qu’on est allé sur place en acheter pour Anne. Plus on descend en latitude, plus on trouve des formes richement colorées. Et puis Darwin nous a poussés à parcourir les îles : en Bretagne on ne risque gère de trouver que des zygènes, ce qui n’est pas déjà si mal. Dans les îles Canaries, on peut tomber sur le Monarque échappé d’une de ses migrations américaines habituelles, et sur la variété de vulcain vulcania. En Corse et en Sardaigne, on peut voir Hospiton seules îles au monde où il séjourne. Cela permet de boucler la famille des Papilionidae. La nuit, volent de merveilleuses espèces, sphinx ; saturnidae et autres écailles, sans compter les milliers d’espèces moins spectaculaires comme fidonia plumistaria qui est un pourtant un superbe géomètre.

C’est vrai qu’il est tentant de s’intéresser aux papillons dits exotiques, et la Guyane nous a cligné de l’œil avec le papillon chouette, si étrange avec ses yeux pensifs. Quand nous avons construit notre première maquette de papillon-robot, nous aurions pu créer un Machaon avec deux queues en non pas une seule car le modèle à deux queues existe aux Etats Unis ! Il est encore plus stable comme planeur et mériterait d’être construit ! Quelles variations innombrables dans la nature ! Mais s’il s’agit d’acheter tout bêtement chez Deyrolles un papillon sorti d’une boite, cela perd tout son charme car on ignore précisément d’où il vient, comment il vivait, à quoi ressemble sa chenille, et je m’y suis (presque) toujours refusé. Je n’ai succombé que pour des Morpho cypris bleu métalliques, et pour les Ornithoptères de Dumont d’Urville parce qu’ils sont géants, et que quand je montre ma collection les dames adorent naturellement.

Un compromis consiste à acheter des œufs, et de nombreuses fermes vous en proposent assez facilement maintenant sur Internet. Alors vous pouvez mieux connaître le bel étranger dont vous favorisez l’immigration, et vous l’approprier. C’est ce qu’on fait par exemple en élevant un Brahamaea.

Je me suis souvent demandé si Dieu était comme on nous a appris à le croire, basé à Olympie. Ou s’il était originaire de palestine. Ou s’il avait choisi comme le lama Rinpoché les hauteurs de l’Himalaya. Sinon, j’aurais aisément cru qu’il était Chinois. Asiatique en tous cas. Car quand on examine les papillons asiatiques, quelle imagination il a déployé dans leurs formes et leurs décorations ! (J’ai décidé après mure réflexion que c’est lui qui, avec l’appui de son bureau d’études informatique, a peint les yeux sur les ailes des papillons !)


Tenez, la famille des Brahmaeidae, qui a été créée par Charles Swinhoe (1836-1923) en 1892.

Brahmaea hearseyi est un robuste papillon nocturne pouvant dépasser quinze centimètres d'envergure. L'espèce est notamment connue du Cambodge, Laos, Vietnam, mais aussi de Chine et Thaïlande. Ce papillon appartient à la Famille des Brahmaeidae, caractérisée par un graphisme alaire très particulier, et une ornementation tégumentaire non moins originale des chenilles, puisqu’elles aussi ont des « yeux ».
 
Une grosse vingtaine d'espèces est répertoriée au niveau mondial, ce qui est fort peu, et témoigne bien de la spécificité de cette Famille. Toutes sont asiatiques, ou africaines. L'étrange graphisme des ailes, et son peu banal relief en "trompe-l'oeil", confèrent à ce curieux papillon une beauté déjà quelque peu inquiétante  ... mais il faut absolument voir la chenille !

Les lignes parallèles répétitives sont typiques de l'ornementation graphique des Brahmaeidae. Ces lignes peuvent être plus ou moins ondulées, festonnées, brisées, accentuées, ...mais elles sont toujours transversales, nombreuses, rapprochées; et intéressent une grande partie de la surface alaire. Il existe même de curieux "électrocardiogrammes" des ailes postérieures, et l'effet "peau de tigre" des antérieures.

 On peut observer toutes ces particularités chez soi, si on élève la chenille en faisant éclore des œufs importés d’Asie.


 J’ignore quelles sont les plantes nourricières autochtones, mais hors de leurs terres, les bestioles s'accommodent aisément du frêne, du lilas, et plus encore du troène, quasi panacée pour bon nombre d'espèces de papillons. Dans les conditions optimales de nourriture et température, le développement est particulièrement rapide, puisque l'intervalle entre les mues peut être de l'ordre de trois à quatre jours pour les premiers stades larvaires.

L'originalité des chenilles de Brahmaeidae réside dans le port d'excroissances filiformes, plus ou moins développées, portant le nom de "scoli". Vous noterez que cette terminologie s'applique à toutes les formations peu ou prou comparables, telle la "corne" des chenilles de Sphinx, mais dans ce dernier cas il s'agit d'un "scolus" .... lequel devient "scoli" au pluriel et nos chenilles en portent effectivement beaucoup !

Par-delà leur côté ornemental ces drôles d'antennes ou de vibrisses ont à coup sûr des fonctions tactiles (voire défensives pour certains), et pour s'en convaincre il suffit d'observer les réactions des bestioles en élevage, que ce soit par rapport à leur environnement, leurs congénères ... ou le "personnel soignant" !

Sauf à avoir le nez bouché à la suite d’un fort vilain rhume, sachez que les chenilles âgées, et les chrysalides (notamment à l'émergence du papillon), dégagent une odeur à la fois très particulière, et très tenace. J'ajouterais que les effluves sont évidemment en rapport avec le nombre des pensionnaires, et que le moindre relâchement dans l'entretien des cages en multiplie très vite les effets.  Bien entendu ce "parfum corporel" a sa raison d'être, sans doute défensive, d'où le terme de "répugnatoires" attribué à ces peu appétissantes odeurs, ainsi qu'aux glandes les sécrétant.


La "perte" des scoli est  le plus visible des critères marquant le passage au dernier stade. C’est là qu’apparaissent sur la tête de la chenille des  ocelles blancs pupillés de noir, des yeux factices plus vrais que des vrais ... et un "regard" qui ne donne pas envie de plaisanter : c’est la que Dieu (ou Bouddha) se sont déchaînés !


Mon histoire se passe en 1963. Je n’en prends conscience qu’ensuite, par la lecture de la revue Alexanor à laquelle je suis abonné. Je suis à l’agro, et ne pense guère aux papillons dont je ne commencerai vraiment à m’occuper qu’en 1970, diplômes dans la poche, service militaire accompli, après ma nomination dans le Tarn-et-Garonne.

Une nouvelle éclatante, du moins dans le monde fermé des entomologistes. C’est plus qu’un scoop, c’est un vrai conte de fées !

Il conte e le farfalle.

D’abord, comme dans les contes de fées, il s’agit d’un véritable prince, un comte : Frédérico Hartig, prénom italien, et nom d’origine allemande. Il est né en 1900, et a soixante trois ans à l’époque. Il est donc comte et à l’âge de la retraite, peut vivre sans travailler, en fait il est entomologiste « à l’ancienne ». Il possède grand chapeau, filet à farfalle, et il ne craint pas de se montrer en tenue aux napolitains. Il faut dire qu’il habite Naples, et chasse dans toute l’Italie du sud. Comme moi il préfère la montagne, il y fait plus frais et les espèces y sont davantage protégées. Et plus précisément encore il se ballade en Lucanie, dans le Mont Vulture qui culmine à 1326 mètres. On n’est pas si loin du Vésuve, le Vulture étant un « vulcano spento da epoca preistorica. »

Nous sommes le 13 avril, à la tombée de la nuit. C’est vrai que chez nous, il ne vole encore pas grand chose à une date si précoce. Le comte lui a allumé par précaution sa lampe à vapeur de mercure, réputée pour émettre les ultra-violets qui attirent les papillons de nuit. On a vu qu’Isabelle aussi éclosait tôt dans la saison ; et le comte se dit qu’il faut toujours essayer, surtout à une latitude nettement plus au sud qu’à Paris ! Qu’importe si vous ne parlez pas italien, vous allez au moins deviner, et c’est trop beau un conte italien dans la langue de Dante !

« Una falena imponente sbucata da un oscuro angolo del bosco, di una specie mai vista prima, atterrò all'improvviso, come per incanto, ai suoi piedi, sotto gli occhi eccitati di alcuni colleghi tedeschi. Erano le otto della sera di quella primavera appena cominciata, era la stagione degli amori di una delle farfalle più antiche e misteriose della terra. Nel suo abito scuro, abito di circostanza adatto ai richiami della sera con delicate sfumature sulle ali, si era fatta ingannare (o incantare?) dalle lampade al mercurio.

Hartig la vide, capi e trasalì - resta memorabile la descrizione che fece di quell'evento - e finalmente poté presentare, dal vivo ai suoi amici, che fino a quel momento si erano dimostrati scettici sulle sue previsioni, la prima, leggendaria bramea rintracciata in Italia, e la battezzò, nell'ampia radura che era stata scelta per la ricerca: "bramea europea", aggiudicandosi, sul campo, la titolarità della scoperta che ebbe immediato risalto sulle riviste scientifiche in Italia e all'estero.

"La bramea é una creatura affascinante" - sono parole sue - "Appartiene a una famiglia di farfalle conosciute soltanto nell'estrema Asia Orientale. Proviene dal miocene e quindi avrebbe qualcosa come ottocento milioni di anni!"

« Una creatura eccentrica, dunque, che per una straordinaria potenzialità percettiva, per scelta, una scelta che gli stessi scienziati non sono ancora riusciti a spiegare, era atterrata alle pendici del vulcano, dopo una traversata di diverse migliaia di chilometri, in un periodo che si perde nella notte dei tempi.

« L'idillio tra Fred Hartig e la "sua" falena di Monticchio durò un decennio. Tutti gli anni l'entomologo aspettava la sua grande farfalla (ha un'apertura alare di otto centimetri) accovacciato sotto un ampio telo bianco, con lampade, reti, trappole e cloroformio, pronto per entrare in azione. I tempi dell'agguato cominciavano verso sera.

« Scheggia solitaria e poetica, la bramea non aveva nulla a che vedere con le farfalle nostrane dai colori appariscenti, ma fragili. Il suo abbigliamento era in perfetta sintonia con l'ambiente silvano. Il maschio entrava in campo all'imbrunire, la femmina, più riservata, si mostrava di notte. Le grandi ali le consentivano spostamenti rapidi e imprevedibili. Volava a sbalzi e puntava abitualmente verso l'alto. Prediligeva le cime dei faggi che a Monticchio, per un capriccio della natura, sono cresciuti a quote eccezionalmente basse. »

Vous avez vu : le comte fait comme le docteur Cleu avec Isabelle : il se méfie de sa prise. Il attend longuement la capture d’un mâle. Et procède dix ans durant aux élevages nécessaires, pour lui permettre d’observer les chenilles, et la perte de leur scoli.

Et ce n’est ensuite qu’il est absolument sûr de son extraordinaire découverte : le seul Brahmaea jamais découvert en Europe !

Son nom sera donc Brahmaea Europaea Hartig


Et les omaggio al conte e le farfalle constituent le grand moment annuel du Parc Naturel du Mont Vulture depuis 1980, date du décès de l’illustre découvreur.




Vous vous demandez où vous pourriez faire un voyage surprise, à une époque où les touristes restent chez eux, et où il ne fait pas encore trop chaud en Italie du sud ?



Rendez vous à Napoli….

(découvrez la villa des papyri…)

….louez une Fiat 500 puis … visitez le Monte Vulture !

Questa area protetta con delle condizioni climatiche caldo-umide è stata istituita per conservare integro l'habitat ideale per la 'Bramea', una rara specie di falene le cui le larve dipendono dal frassino (Fraxinus oxicarpa) e dal ligustro (Ligustrum) per sopravvivere.


Il y a peut-être encore d’autres papillons à découvrir ?



On peut donc encore vivre l'extravagante aventure des chasseurs de papillons....

... au XXIè siècle ?