dimanche 20 février 2011

Euphrydrias cynthia


Le montagnard de Saint-Véran

en montagne, le temps est raccourci : on peut ramasser des chenilles dans la pelouse rase ; les voir chrysalider, et obtenir les papillons adultes dans la foulée !
voyez le dimorphisme sexuel accentué !

Je le reconnais bien volontiers : je ne vous raconte que les histoires des papillons que j’ai aimés, et ceux-là, soit ils m’ont intéressé par leur esthétique et leurs mœurs. Soit parce qu’ils étaient rares et que leur découverte représentait un challenge pour le chercheur que je suis : résoudre l’énigme transposée de Lavoisier inventant Neptune, c’est ça qui m’excite, comme découvrir euphenoides grâce à la carte géologique. Ou bien découvrir le cousin de…., qui ressemble au papillon courant, mais présente des différences morphologiques sensibles et vit ailleurs et autrement, c’est ça qui est  amusant. Relier géologie ; sol ; végétation ; altitude ;  chenille et adulte, obéit à un processus complet et transversal, dont je ne me lasse jamais.

Je vous ai parlé de mes chasses dans les causses du Lot, dans les bouquets de Dorycnium à la recherche des zygènes. Mais quand on passe du temps dans ce genre de biotope, on observe des tas d’autres bestioles sympa. On trouve des larves de cigales d’où sont sorties les adultes qui vous piaillent dans les oreilles ; des libellules ; des sauterelles et criquets ; des hyménoptères chasseurs à l’apparence terrifiante. Et bien d’autres papillons.

Par exemple la Mélitée orangée : c’est un petit papillon adorable, qui tout frais brille d’un orange vif au printemps dans l’ambiance vert-cendré des boules fleuries de Dorycnium. La femelle est très différente du mâle, et ils sont très esthétiques tous les deux. Leur nom vulgaire est : damier, damier de … la plante nourricière, parce que sans doute mêlées au taches comparables aux yeux des argus, leurs couleurs présentent des plages orangées cernées d’un trait noir pour bien les faire remarquer, qui font penser à un jeu de dames, avec les pions dessus. Les différences dans les cases, leurs couleurs, les traits qui les cernent, les pions dans les cases, sont innombrables, et le collectionneur ne se lasse jamais d’identifier telle ou telle espèce ce qui s’avère extrêmement difficile, si l’on veut donner son bon nom au papillon qu’on vient de repérer. Ceci explique l’utilité des élevages, car si deux adultes se ressemblent, ils se peut fort bien que leurs chenilles les départagent par leurs différences.


Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Nous ne sommes absolument pas, dans la famille, adeptes des sports d’hiver : l’hiver la neige recouvre toute végétation en montagne, et il faut vraiment être fana de sports de glisse pour se joindre à la foule des parisiens venant s’éclater dans les stations à la mode. Là où nous habitons maintenant, ce n’est pas pareil : en une demi-heure, nous allons au Mourtis, parce que c’est une station familiale, et qu’on peut y faire de grandes ballades  en raquettes. Par contre, l’été la montagne est couverte de fleurs, la brièveté de la saison étant compensée par la profusion de la vie animale, végétaux et insectes inclus. La montagne a toujours été une zone de protection pour les espèces, soit que l’homme y soit contraint par la pente à des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, en pratiquant de manière extensive le pâturage sur des zones collectives, où la rusticité des pratiques interdit l’usage de molécules chimiques favorisant en plaine les cultures intensives.



Alors de Montauban, nous avions l’habitude de rejoindre Ax-les-Thermes, pour y faire du camping, en choisissant le mois de juin quand les enfants n’étaient pas contraints par le rythme scolaire, à temps pour être là juste à la sortie d’Apollo.

Et depuis Arles nous allions dans les Alpes, à Guillestre, en camping là aussi. Nous avions remorque basse, tente, réchauds matelas et duvets, le confort dans la nature. De cette manière il était possible de conduire les recherches des chenilles d’Isabelle. Et comme le résultat était constamment négatif comme disent les militaires, de se promener et de rechercher bien autre chose.

Y compris de faire du tourisme, de monter dans les glaciers, de découvrir la Vallouise et Saint-Véran, le plus haut village d’Europe.

On peut toujours visiter les chalets sur place, et imaginer la vie des habitants de ces endroits bloqués par la neige tout l’hiver ! Leur chalet était écologique, durable et tutti quanti davantage encore que tout ce qu’on peut promouvoir aujourd’hui, si l’on pense que l’isolation de la maison était constituée par le foin dont elle était complètement entourée. Le foin constituant aussi la nourriture des animaux confinés à l’intérieur. Pendant l’hiver, les animaux mangent l’isolation rendue inexistante quand le beau temps la rend inutile. Tout ça sans aucune énergie fossile ! (sauf les bougies…) . Remarquez qu’aujourd’hui, il y a des ruraux qui commencent à construire des maisons isolées avec des bottes de paille !

A l’intérieur de cette enceinte close et étanche vivaient comme dans l’arche de Noé deux frères, tellement sous alimentés et manquant de vitamines qu’ils mesuraient à peine un mètre soixante, et couchaient dans le même lit, pour se réchauffer. Le lait leur était fourni par les vaches qui leur donnaient leur chaleur, en logeant juste à côté. La compagnie, c’était celle de l’âne qui servait l’été à remonter les balles de foin. Il y avait chien et chat. Et les poules au milieu de cette société mixte fournissaient les œufs. Pas d’électricité, des bougies. Pas de télé. L’almanach de la Manufacture de Saint-Etienne comme seule lecture. Pas d’horloge : un cadran solaire. Et dans le cas présent, pas de femme, pas la moindre Grâce ni déesse, pour vous dérider et encore moins transmettre une quelconque descendance.

C’est peut-être à cause de cette vie terrible que nous préférons la montagne l’été !

Après avoir visité Saint-Véran, nous montions à 2360 mètres à la chapelle de Clausis.

C’est une ballade très agréable au sein du Queyras, dans les Hautes-Alpes.

Il est probable que ce nom ne vous dise pas grand-chose, tant le Queyras reste indissociable de cols parmi les plus franchis dans les Alpes, comme le Col d'Izoard et la fameuse Casse Déserte, et, dans une moindre mesure, le Col d'Agnel, frontalier avec l'Italie.

Au départ de Guillestre, où nous avions notre camp de base, une petite route correctement revêtue remonte doucement le torrent du Guil pour se diriger vers la combe du Queyras. Après plusieurs petits tunnels assez étroits, la route passe au fond d'une gorge dont les parois rocheuses qui l'encadre paraissent infranchissables. Se succèdent ensuite plusieurs kilomètres de pentes modérées, alternants petits faux-plats montants et descendants (mais majoritairement montants…), et nous voici à Château-Queyras, immédiatement reconnaissable grâce au Fort perché sur son éperon rocheux. Ce Fort très ancien existe depuis 1265, et a joué un rôle majeur pour la défense de la combe du Guil. En effet, plus de 3.000 soldats pouvaient se masser à l'intérieur. Au cours de certaines périodes, il a également été utilisé comme prison. Continuer ensuite la route vers Ville-Vieille, en direction de Molines, puis de Saint-Véran, à 2050 mètres. A la sortie de Saint-Véran, les 6 kilomètres restant alors se font sur une mauvaise route, où là encore le goudron a laissé la place aux cailloux.

Le vallon, parallèle à celui menant au Col d'Agnel, présente de jolies vues tout au long de la fin de la montée : cîme de la Combe Crose, Pic de Château Renard.

Après un virage, on découvre un cirque de grande beauté, avec au premier plan un petit promontoire sur lequel se trouve la Chapelle. Encore quelques efforts, et nous voici à 2360 mètres d'altitude !

Les amateurs de randonnée pédestre continuent d’habitude plein Est jusqu'au Col de Saint-Véran pour admirer le Mont Viso, tandis que ceux montés à VTT pourront redescendre sur Saint-Véran en suivant le GR 58 par le fond de la vallée, avant une longue descente pour revenir à Guillestre.

Nous, nous étions arrivés. Partout de l’herbe rase, une pelouse. Et en marchant lentement comme le chercheur de coques sur une plage bretonne, il suffisait de se baisser pour ramasser les chenilles de Euphydrias Cynthia, le cousin montagnard de la Mélitée orangée du Lot.

Je l’avais, le cousin. Sa chenille pleine de piquants noirs, de faux piquants seulement pour faire peur je vous rassure, a des bandes jaunes, sans doute une allusion au Tour de France. Elle est vite rassasiée et mener un élevage sur place avec les alchémilles qui constituent la pelouse, ou plus aisément encore avec du plantain est facile. La petite chrysalide se transforme comme ça, sans façons, par terre. Et naît dans la foulée l’imago, la femelle orangée ressemblant en plus transparent à la cousine terrienne, celle qui vit dans la plaine.

Mais Monsieur, qui est guide de Montagne sans aucun doute, arbore une tenue camouflée-glacier, avec de belles plages de neige bien blanche pour bien montrer sa vie en altitude. C’est un montagnard magnifique !


Il y a comme cela plein de superbes papillons dans la montagne ; et ce ne sont pas forcément les mêmes que l’on trouve dans les Pyrénées, et dans les Alpes. Par exemple, le semi-Apollo, autrement dit Phoebus, dont la chenille vit sur les saxifrages, est absent des Pyrénées. C’est fort ennuyeux et nous oblige à parcourir des centaines de kilomètres pour faire sa connaissance !

Ah j’oubliais : pour les anglais, notre papillon c’est : Cynthia's Fritillary. Fritillary étant le damier comme chez nous.

Aurai-je jamais terminé ? Le plus beau des damiers, pour mon Maître, était desfontainii, le damier espagnol. C’est un méditerranéen, il a les couleurs les plus vives, et s’il est espagnol, il vit également à Perpignan, et est connu des Pyrénées Orientales. Comme le sont les catalans, il ne fait donc pas la différence entre les deux côtés de la frontière. Je l’ai donc cherché sans relâche, sans jamais le rencontrer tellement les stations où il vit sont limitées dans l’espace. Sa chenille mange Knautia arvensis. Vous allez me dire que vous n’en avez jamais entendu parler ?

Eh bien moi non plus !

On ne peut tout avoir !
Et encore moins tout savoir !



Anthocaris Cardamines

Ou l’extase d’Aurore


l'aurore est à droite, avec un oeuf oblong sur une fleur de cardamine
la cousine de Provence (jaune) est à gauche
L’aurore, appelée parfois piéride du cresson (Anthocharis cardamines) est un insecte lépidoptère appartenant au sous ordre des Ditrysia, à la super famille des Papilionidés (Papilionoidea) à la famille des piérides (Pieridae), à la sous famille des Pierinae et au genre Anthocharis. Pour les anglo-saxons, c’est le premier des orange-tip, à cause de la tache orange qui orne l’extrémité des ailes antérieures du mâle. Alors que la femelle a des couleurs blanches entremêlées de vert plus pâles, qui lui permettent de rester invisible dans l’ambiance verte des premières pousses du printemps.

Voir l’aurore voleter sur les plantes vertes fraîchement poussées des bords de nos chemins signale chaque année l’arrive du printemps.


C’est un papillon univoltin répandu dans pratiquement toute la France et dans une grande partie de l'Europe. L'aurore fréquente divers milieux comme les prairies et les forêts humides, mais également des milieux secs ouverts (prés fleuris, jardins, haies, chemins, lisières des forêts…) jusqu'à 2000 mètres d'altitude. C’est un papillon assez commun, pas du tout comme son cousin provençal dont nous vous avons déjà parlé : euphenoides.

L'aurore mesure de 35 à 50 millimètres. L'imago est visible du mois de mars/avril jusqu'au mois de juillet/août (en fonction de l'altitude) sur diverses plantes, essentiellement des crucifères, dont il butine les fleurs.

L'aurore possède un corps noir avec une pilosité grisonnante. Ses antennes, blanchâtres, sont claviformes. Les ailes antérieures sont blanchâtres avec une zone foncée à leur base. Chez le mâle l'aile antérieure possède une tache orangée sur la moitié externe ainsi qu'une petite tache noire. Le bord de l'aile antérieure est tacheté. Chez la femelle la tache orangée est absente et la tache noire est plus étendue, en forme de croissant. Chez le mâle et la femelle l'aile postérieure est mouchetée de gris et de vert ce qui assure un bon camouflage lorsque l'aurore a les ailes complètement repliées. Elle n’exhibe alors qu’un quart de sa surface alaire, et reproduit un filet de camouflage bien supérieur à celui dont on recouvre les matériels militaires.

En mai/juin la femelle pond ses œufs, rougeâtres, isolément sur les boutons floraux de diverses crucifères (brassicacées) comme la cardamine des près (Cardamina pratensis) d'où elle tire son nom, mais également la moutarde sauvage (Sinapsis arvensis), l'alliaire (Alliaria petiolata), le sisymbre officinal (Sisymbrium officinale), l'arabette glabre (Arabis glabra)…

L'éclosion a lieu généralement au bout de sept jours. La chenille adulte mesure environ trois centimètres de long. La chenille est globalement verte avec une zone blanche latérale de chaque côté. Elles sont bienvenues ces lignes blanches, car quand la chenille est allongée sur une tige, elle devient quasiment invisible. La chenille s'attaque en premier lieu aux fleurs puis aux fruits de la plante hôte, qui sont des siliques comme vous le savez maintenant. Il est à noter justement une certaine ressemblance entre la chenille et les siliques. Elle n'attaque les feuilles qu'en cas de nécessité.

La nymphose a lieu généralement au mois de juillet/août. Les chrysalides, ceinturées, sont pointues et incurvées ce qui leur donne un aspect d'épine qui leur permet de passer inaperçues. Décidément, tous les stades auront permis de mettre en valeur au plus haut point les capacités de camouflage qu’offrent F.O.M.E.C tel qu’on l’apprenait quand le service-militaire obligatoire décortiquait aux novices les bases du camouflage à l’armée : Forme (d’une brindille). Ombre (les taches). Mouvement (il faut se déplacer lentement). Eclat (mieux vaut revêtir des couleurs mates). Et Couleur (intégrées dans l’environnement). C’est l’art de la mimèse. Les chrysalides passent l'hiver avant l’éclosion du printemps.

Nous vous avons raconté que Anthocaris, signifie en grec : « la grâce des fleurs ».  La grâce des fleurs … de cardamines, c’est vraiment bien trouvé. Bravo Linné (toujours lui, en 1758). Quel travailleur infatigable !

Les Grâces, ce sont aussi les trois, les trois grâces : déesses qui personnifiaient la Beauté et  la Grâce qui va avec, les Charités (Caritae) ou Grâces (Gratiae) chez les romains, étaient à l'origine des divinités de la végétation. Elles habitaient l'Olympe et faisaient partie de la suite de plusieurs dieux ou déesses.
Elles étaient déjà mentionnées par Homère et Hésiode. On faisait d'elles les filles de Zeus et d'Eurynome, ou aussi d'Hélios et d'Aeglé, ou de Dionysos et de Coronis selon les auteurs.

On en comptait trois dont les noms diffèrent selon les auteurs : Euphrosyne (la joie de l'âme), Thalie (la verdoyante) et Aglaia ou Aglaé (la brillante) la plus jeune, qui passe selon Hésiode pour l'épouse d'Héphaïstos à la place d'Aphrodite. Comme vous le devinez déjà, les noms des Grâces ont été donné à des papillons notamment le beau nacré : Aglaja. Même chose pour  Euphrosyne qui a donné son nom à un boloria, petit papillon de la famille des argynides également. Par contre, les parents qui recherchent des prénoms pourraient s’inspirer de la mythologie, et quand on est écolo, pourquoi pas nommer sa petite fille : Thalie, la verdoyante ?


Je vais maintenant vous expliquer pourquoi, de manière certes un peu extravagante, je  parle de l’extase d’Aurore !


Eôs (Hvs) est la déesse de l'Aurore, identifiée à la déesse Aurore des Romains, elle était la fille des Titans Hypérion et Théia et donc la sœur de Séléné et d'Hélios. Elle ouvre la marche du soleil dans de nombreux tableaux classiques comme celui de Guido Reni.

Aphrodite, furieuse de trouver un jour Arès, son amant, dans le lit d'Eôs, la condamna à de continuelles amours avec de jeunes mortels. Timide et rougissante, bien qu'elle fût déjà mariée à Astraeos qui était de la race des Titans, elle se mit donc en secret à séduire des jeunes gens, les uns après les autres.

D'abord Orion qu'elle emmena à Délos ce qui causa sa mort. Puis Céphale, puis Clitos petit-fils de Mélampous. Enfin Eôs fit la conquête de Ganymède et Tithonos, fils de Tros (ou d'Ilos).

Vous voyez : c’est une grande amoureuse, et elle est condamnée pour l’éternité à séduire les jeunes gens !


Un grand bonheur pour l’être humain curieux que nous sommes, est de pouvoir observer la cour que se font deux Aurores posées sur des cardamines. Le jeune-homme, lui, est tout innocent. Il ignore les plaisirs de l’amour, tout absorbé qu’il est pas l’odeur entêtante des phéromones dont il fait la découverte envoutante. La femelle, elle, en vraie professionnelle,  relève son abdomen en l’air, entre les quatre ailes rabattues. Elle frémit de tout son petit corps, diffusant à plein débit les fameuses phéromones, étourdissant le prétendant, lui ôtant toute capacité de libre arbitre, le poussant vers la seule impulsion du désir. Le mâle vole sur place, au-dessus d’elle. Il l’aborde, il ne peut faire autrement. Ils font connaissance assez rapidement, les préliminaires raccourcis au maximum. Les corps se touchent ; ils s’accrochent, tête-bêche, les deux papillons inversés. Et  amarrés tous les deux, il s’envolent gauchement, ne pouvant voler facilement, leur tandem exigeant une trop formidable synchronisation ; ils se traînent de fleur en fleur, « bateau ivre qui va où ses voiles le mènent » dit le poète.

Edgar Morin dirait qu’ils sont en « pleine combustion amoureuse ». On vit avec eux un moment de grâce et de sexe, et on pense à Philippe Sollers :

L’Art sans Sexe n’est pas de l’Art, mais le Sexe sans Art n’est pas du Sexe.


Et Dieu dans tout ça ?
Il est par là.

(Un vrai roman, p. 158)

Je pense à l’extase de Sainte-Thérèse, que nous a révélée Dan Brown en 2003 dans The Da Vinci Code, deuxième volet de la trilogie Robert Langdon. Vous savez que l’un des messages du roman est que l'union sexuelle, qui laisse toute la place à l'altérité homme - femme est un moyen privilégié d'entrer en contact direct avec Dieu (voir la scène du Hieros Gamos, Union sacrée) .…« L’extase de Thérèse d’Avila, telle qu’elle est représentée par le Bernin dans la chapelle Cornaro à Rome, est un exemple, particulièrement subtil, de l’imbrication de la sensibilité religieuse et de la sensibilité esthétique », nous dit le commentaire de cette œuvre baroque devenue célèbre.

« Entre nuage porteur et rayons d’or qui tombent de la voûte, l’ange se tient debout au- dessus de la sainte -léger, aérien, rieur- et c’est bien sa grâce sans entrave qui aimante la lévitation, corrige en courbe ascendante l’abandon du corps terrassé et maintient les paupières mi-closes entre vision radieuse et sensations torrentielles. Le bras droit de l’ange est encore infléchi sur le retrait de la flèche qui a traversé le cœur de Thérèse et il suffit d’aller de ce geste sûr et sans poids à l’affaissement désordonné du vêtement monacal pour saisir la distance entre la grâce et la pesanteur et pressentir leur rencontre dans ce corps tumultueux et ravi ».
















On n’est pas très loin, sauf à y être complètement, dans ce qu’il faut bien nommer un orgasme, et il n’y a pas mieux que Philippe Sollers pour en décrire les sensations !

« Le mot ‘orgasme’ (du grec orgân, ‘bouillonner d’ardeur ’), a d’abord désigné les accès de colère, note l’auteur. Transposé à la sexualité, il est sensé indiquer ‘ le plus haut point du plaisir sexuel ’. Bien entendu, le modèle de définition reste officiellement le moment de l’éjaculation masculine (seule vérifiable). Tardivement, le dictionnaire admet qu’une femme peut avoir deux sortes d’orgasmes, un vaginal, un clitoridien, et qu’elle « peut éprouver plusieurs orgasmes successifs au cours du même coït ».

Nous sommes dans un traité d’histoire des papillons, je vous le rappelle ! Et toutes ces transpositions aux humains supérieurs que nous sommes ne vise qu’à vous faire vivre les sensations de mademoiselle Aurore. Et de Monsieur, découvrant l’amour comme une fulgurance !

« …Tout à coup, dans un demi-sommeil, l’action fulgurante d’un big-bang, explosion, projection à une vitesse folle, chaos, cosmos, terre, existence, fusée tirée d’on ne sait où vers on ne sait où. Vitesse du son ? Non, bien plus. De la lumière ? Non, trop lente. C’est une propulsion instantanée à travers la matière, atomes et cellules, un coup de canon dans le vide, coup de semonce, coup de semence, avec pour seul résultat d’être là. Là, mais où ? Plus de où. Trouée dans le où. Et voilà une grande certitude sans rien ni personne. C’est là, c’est peut-être moi. Je reprends mon crâne et ma forme habituelle et, en effet, c’est moi. »

C’est toujours un papillon qui parle !

Et si tout ça n’était qu’un phénomène chimique ? Et si tout ça était causé par de simples phéromones ? Je me trompe de terme, je veux dire par de simples hormones ?

L’hormone du bien-être existerait-elle ?

Oui nous raconte Guy MASSAT, Psychanalyste dans son intervention au Café le « Lounge Bar » (1, bd de la Bastille), le jeudi 23 février 2006.

« La souffrance d’origine psychique produit celle du corps et celle de l’esprit. La psychanalyse est la méthode qui permet à chacun de faire parler et de débloquer sa parole inconsciente, de devenir ce que l’on est et d’accoucher rapidement de soi-même en parlant. Tout peut se guérir par la parole et l’interprétation des rêves. Pourquoi j’en suis si sûr ? Le psychanalyste est naturellement autre chose qu’un savant, bien qu’il soit immanquablement aussi un savant, même si c’est à son insu.

« Ma preuve objective c’est que les savants ont découvert qu’en parlant on produit de l’ocytocine. L’ocytocine est une hormone connue depuis longtemps pour favoriser les contractions des parturientes, mais la science vient de découvrir qu’elle est produite par la parole. On savait déjà que la parole produisait des décharges d’adrénaline, la molécule des systèmes nerveux. L’ocytocine, quant à elle, favorise la confiance en soi et la sexualité. Ce serait un puissant antidépresseur, qu’on qualifie maintenant d’hormone du bien-être. L’ocytocine se libère pendant l’amour, elle est sécrétée pendant l’orgasme et... c’est scientifique : par la parole. Voici donc la preuve biologique, matérielle et savante de l’importance de la psychanalyse comme guérison par la parole. » 

Eh bien, les amours d’Aurore nous auront mené loin, mais nous en savons un peu plus sur l’effet (sur un papillon) des phéromones émises par sa capiteuse et séduisante moitié !


Tant que nous y sommes, allons y jusqu’au bout !


Georges Bataille écrit Les Larmes d’Éros, en 1953. Il désigne ainsi l’orgasme dans son roman. : « L’orgasme, en même temps que sentiment de plénitude et de satisfaction, provoque aussi un effondrement du moi, une suspension du manque et du désir, comme la mort qui abolit toutes les tensions de la vie »….

…« Chacun et chacune est donc ici renvoyé à son intimité la plus intime. L’assimilation de l’orgasme à une ‘ petite mort ’ est plus révélatrice qu’il n’y paraît. Il y aurait ainsi, tabou suprême, du plaisir à mourir ? …Possible… »

Pour monsieur Aurore, c’est sûr : une fois transmis à madame le soin de fabriquer une progéniture, il n’aura plus rien à faire du tout qu’à mourir, ayant fait ce pour quoi il était utile : transmettre-ses-gênes-un point-c’est-tout !

Au moment où les idées de Mai 68 sont remises en cause : « Ne travaillez jamais » (Debord), remplacé par « Travaillez plus pour gagner plus », monsieur Aurore ne se sent pas du tout concerné. Le « Faîtes l’amour... » est encore resté pour lui épargné. Car de son domaine privé.

Ouf !


Mais, le privé n’en est pas moins en crise jusqu’au mal-être dont Houellebecq a fait son fond de commerce. « Le sexe a longtemps été tabou, il est aujourd’hui obsessionnel » nous dit, aussi, Fabienne Casta-Rosaz dans son Histoire de la sexualité en Occident. En arrière plan du désarroi exprimé, c’est toujours la même quête existentielle, celle de l’identité et du sens de la vie qui continue d’être posé.


Depuis que l’homme a commencé d’ interroger le ciel et formuler ses interrogations….


C’est pour ça que j’aime bien la mythologie : il y a non pas un Dieu mais des Dieux. Et il y a des Déesses, et leurs enchantements. Ce qui à mon avis manque à ce que Nietzsche, dans une formule célèbre appelait le monotonothéisme, le monothéisme, en effet, comme monotonie et comme répétition de plus en plus mortifère a lui même oublié qui il était.


Heureusement que nous pouvons faire un passage par la Bible, le plus grand des textes occidentaux bien entendu,  mais je crois que la mémoire grecque est tellement en danger qu’il est urgent de relire l’Odyssée. Toujours pour Philippe Solers, « l’Odyssée, c’est la guerre secrète que mène un individu contre tout le monde, aidé qu’il est malgré tout par une déesse qui est Athéna. Et, cette guerre secrète, avec ce secours secret, multiforme, d’une déesse à l’égard d’un mortel m’a paru d’une très grande actualité ou d’une beauté telle, qu’il faut absolument la remettre en lumière. »



Et si Jésus de Nazareth a eu vraiment un enfant
avec Marie Madeleine…

…ne serait-ce pas aussi une bien belle histoire ?





lundi 14 février 2011

me réincarner en papillon ?

N’y pensons plus :
le poids de l’âme !


Pour ceux qui ont eu la chance de visiter le Futuroscope à Poitiers, ils ont pu participer, en trois dimensions, en vision stéréoscopique qui m’est si chère, à la migration du papillon Monarque. On est en hélicoptère (virtuel) ; le plancher vitré permet de voir dessous. On est papillon Monarque, et on vole au milieu de ses congénères, en suivant la voie de notre célèbre migration (ça y est : je suis Monarque !). Grâce à nos instruments intégrés sophistiqués, on se dirige vers le Mexique, dans un endroit bien précis, à un mètre près. On reconnaît le paysage : « Nos anciens se sont posés sur cette branche ». Maison ! maison comme dirait E.T. (on dit : i-ti ). On est revenus à la maison ! At home !  la casa !

Deux mexicains sont les gardiens du  bout de paradis où l’on se rassemble pour notre parade annuelle, et l’un d'eux explique en espagnol (je vous la fait courte, mais lui explique ça tellement joliment) que chaque papillon représente l’âme d'un défunt. C'est magnifique, ça me fait penser à mon frère-Scorpion corse Jacques décédé si bêtement à Marseille en se faisant vérifier le cœur. Je lui avais fait découvrir la mer à Cancale. Il ne connaissait que les marées de Bastia où il n’y en a pas. Quand il a vu que la mer s’était retirée à des kilomètres à Cancale, et qu’elle revenait six heures après, il n’en est pas revenu. Et à notre amie Manette n’a pu survivre à sa disparition. J’aimerais qu’ils se soient réincarnés.

La réserve de biosphère du papillon Monarque est située dans une chaîne de montagnes à environ cent km au nord-ouest de Mexico. Sur ses 56 259 ha, chaque automne, des millions, voire un milliard de papillons provenant des vastes espaces canadiens s’amoncellent sur de petites parcelles forestières de la réserve, répartis en quatorze colonies compactes colorant les sapins oyamel en orange et faisant ployer les branches sous leur poids collectif.

Là, ils sont à l'abri du vent, de la pluie, de la neige, de la grêle et des températures qui tombent parfois légèrement sous le point de congélation. Les conditions hivernales normales dans les montagnes permettent aux papillons de survivre grâce à l'énergie emmagasinée à l'automne.

Au printemps, ces papillons reprennent une migration de huit mois, vers l’est du Canada avant de revenir au Mexique. Durant cette période, quatre ou cinq générations successives naîtront et mourront. Nous ignorons encore aujourd’hui comment ils parviennent à trouver leur chemin vers le Canada, où ils se rassemblent au parc national de la Pointe-Pelée. Ce parc situé à l'extrémité la plus méridionale du Canada est un excellent endroit d'où repartir pour traverser le lac Érié en direction de leur aire d'hivernage, au Mexique. Les monarques n'ont besoin que de bonnes conditions de vol – de la chaleur et des vents favorables. On a d’abord pensé qu’ils se dirigeaient en fonction des ondes magnétiques terrestres, ou qu’ils utilisaient la position du soleil et les vents. Les hypothèses les plus récentes – et les plus probables – font état d'une mémoire génétique au mécanisme complexe. « Complexe », ça ne veut naturellement rien dire : il faut que la mémoire de leur parcours reste fixée dans quatre ou cinq chenilles et le même nombre de chrysalides successives ! Donc c’est forcément « génétique ». Sans doute s’agit-il d’une mémoire sophistiquée, comme celle dont est équipée mon G.P.S Tom-tom, qui me permet de voyager si aisément puisque tout est inscrit dans sa mémoire prodigieuse ! Cette mémoire est d’ailleurs située dans une petite carte carrée. Il doit y avoir la même dans un Monarque. Il va falloir en ouvrir un pour voir !


 
C'est la quatrième ou cinquième génération, parvenue aux confins du Canada, à la fin de l'été, qui se voit confier la lourde tâche du retour. La nature ayant tout prévu, ce papillon-là, plutôt que quelques semaines, vivra huit à neuf mois. Sur l'arbre même qui vit naître ses trisaïeuls, il donnera à son tour le jour à une nouvelle génération.


Un monarque ne pèse qu’environ un demi gramme pour une envergure de dix centimètres.

« Les papillons savent où ils vont », révèle une étude menée par des chercheurs britanniques qui ont suivi les lépidoptères avec des radars miniaturisés. Lizzie Cant, du centre de recherche Rothamsted Research, situé dans le Hertfordshire, a fixé un émetteur sur le dos de papillons grande tortue et paons de jour. L’appareil ne pèse que 12 mg (4 % à 8 % du poids du papillon) et ne semble pas perturber le quotidien de l’animal.

L’étude, publiée par la revue scientifique britannique Proceedings of the Royal Society, montre que les papillons sont capables de repérer un habitat qui leur est favorable et de voler directement et délibérément vers une source de nourriture. Des "vols de reconnaissance" ponctuent également ces allers et venues. Les Monarque savent eux aussi où ils vont et migrent suivant un plan précis, inscrit quelque part dans leur patrimoine génétique.


On a vu qu’en Grec, le terme de psyché désigne à la fois, l’âme humaine et le papillon. Selon la mythologie, Prométhée façonna le corps humain avec de l’argile, et Athéna y insuffla un papillon pour l’animer.

Chez les Aztèques, le papillon est un symbole de l'âme, ou du souffle vital échappé de la bouche de l'agonisant. Un papillon jouant parmi les fleurs représente l'âme d'un guerrier tombé sur un champ de bataille. En effet, les guerriers redescendent sur terre sous forme de colibris ou de papillons.

Au Japon, le papillon est un emblème de la femme; deux papillons figurent le bonheur conjugal. Léger, le papillon est un esprit voyageur; sa vue annonce une visite ou la mort d'un proche.

Au Zaïre, un mythe raconte que l'homme suit de la vie à la mort le cycle du papillon. Il est dans son enfance une petite chenille, une grande chenille dans sa maturité; il devient chrysalide dans sa vieillesse; sa tombe est le cocon d'où sort son âme, qui s'envole sous la forme d'un papillon.

La ponte de ce papillon est l'expression de sa réincarnation.


J’aurais bien aimé que l’âme d’un défunt puisse habiter à nouveau un corps vivant, comme le corps d’un papillon, et procéder comme le Monarque à de grandes migrations. J’aurais bien aimé que mon ami Jacques soit un bel Hospiton ; Manette une Belle Dame. Et moi j’aimerais me réincarner en Apollon, ou faire du hill-topping comme le Flambé en haut des grands tilleuls !

J’ai du déchanter ce matin, en écoutant Edgar Morin dans l’émission matinale de France 2 « Thé ou café » de Catherine Ceillac, parler du « poids de l’âme ».

Car si l’âme pèse vingt et un grammes, elle pèse vingt fois plus lourd qu’un Monarque tout entier, et ne peut donc se réincarner dans un corps si léger !

Dommage !

Ah oui : vous vous posez la question :

 -« mais d’où sort-il ça encore ? »


J’ai trouvé ce texte de Jean-Pierre Le Goff , qui expose les notes de  ses recherches sur le poids de l'âme.  C’est lui qui parle :

« Je connais l'histoire depuis mon adolescence. L'ai-je lue ? L'ai-je entendue ? Je ne m'en souviens plus.

« Un savant voulut un jour connaître le poids d'une âme. Il pesa un moribond à la dernière extrémité et, immédiatement, il le repesa après son dernier souffle. Il trouva une différence de 21 grammes en moins, qu'il attribua au poids de l'âme.

« J'ai raconté plusieurs fois l'histoire et je l'ai aussi entendue. Parfois le nom du savant était donné, parfois le lieu était nommé, le poids changeait de temps en temps.

« Je m'en tiendrai à 21 grammes. Je taillerai un crayon vert, jusqu'à ce que j'obtienne 21 grammes de copeaux. Je les mettrai dans un bocal à confiture sur lequel le contenu sera inscrit.

« L'objet : « Le poids de l'âme » sera exposé à la Galerie Satellite du 22 janvier au 26 février 2000, dans le cadre de l'exposition collective intitulée "21".


« Quelques jours après l'envoi je reçus une lettre de Jean-Louis Bigot, dans laquelle il me disait:

« Je crois savoir d'où vient cette histoire du poids de l'âme:

« André Maurois a publié un roman en 1931 intitulé "Le Peseur d'Âmes" et qui se passe pendant la Grande Guerre (ou celle des Boers?). Un médecin militaire (sans doute chercheur illuminé dans le civil) utilise la pléthore de cadavres frais pour établir scientifiquement que l'âme existe puisqu'elle a un poids! Tout ceci de mémoire: j'ai lu l'ouvrage il y a plus de quarante ans et n'en ai plus jamais entendu parler depuis, mais c'était traité avec assez de  réalisme pour qu'un gamin de quatorze ans s'amuse à prendre ça pour argent comptant et se souvienne toute sa vie, quoiqu'il advienne des illusions.

« Le titre du roman d'André Maurois ne me disait rien et son contenu encore moins. Ma curiosité était piquée, il importait que je le lise. Je le trouvais le lendemain à la bibliothèque de Clignancourt. L'édition était de 1931.

« Bien que je n'eusse aucune attirance pour les ouvrages de Maurois, je trouvais cette histoire fantastique passionnante. Sa lecture achevée, je me suis demandé pourquoi ce livre était tombé dans l'oubli. Je n'ai pas souvenir de l'avoir vu mentionné dans les bibliographies de littératures fantastiques. J'ignore pourquoi ce roman a bel et bien sombré dans les mémoires. Il a beaucoup de qualités : Il est bien écrit, bien construit, il est crédible, il tient en haleine, il est intelligent, hors le fait qu'il faut admettre, à sa lecture, le postulat ectoplasmique de l'âme, il baigne dans un réalisme pur, ce qui décuple la force fantastique du récit.

« En résumé, le narrateur, écrivain français, se rend à Londres en 1923 et l'envie lui prend de revoir un médecin anglais, dont il partagea la tente, lors de la grande Guerre, à Ypres et qui devint son ami. Le contact est difficile, mais l'amitié reprendra et le Docteur James l'introduira à ses recherches. Le narrateur a quelques réticences, qu'il surmontera car le médecin traque les effets mesurables que peut produire l'âme sur le corps de malades décédés, au moyen d'une balance, dans la morgue de l'hôpital. Revenu à Paris pour quelques jours, l'écrivain rencontre un physicien qui lui parle de radiations qui peuvent rendre visible l'énergie et en particulier de matières fluorescentes, invisibles en plein jour, qui peuvent devenir visibles dans l'obscurité, sur le passage de rayons ultra-violets. De retour à Londres, le narrateur en parlera au médecin qui décidera de faire des expériences avec des ultra-violets. Elles réussiront. Le narrateur comprendra, lorsque le Docteur James mourra, qu'il cherchait uniquement à conjoindre son âme avec celle de sa femme, lors de la mort prévisible de celle-ci. Ses recherches étaient motivées par l'amour fou.

« La mémoire de Jean-Louis Bigot, même si elle s'est trompée dans les détails, a bien retenu l'essentiel de l'esprit du roman. Je me suis laissé captivé par sa lecture comme un adolescent

Le cours du récit offrait des compositions de lumières, qui sont décrites comme des tableaux abstraits:

« Deux gouttes d'un bleu d'acier parurent soudain dans l'obscurité, comme des planètes suspendues dans la nuit. Elles s'élargirent en volutes qui tournèrent lentement, grandirent, faiblirent, nébuleuses de plus en plus ténues. Une fumée liquide emplit tout le ballon d'un nuage irréel et lumineux.

« ...Je vis paraître un brouillard bleuâtre. Il me sembla d'abord informe et comme épars sur toute la largeur du faisceau. Mais ce stade fut si court que je ne pus l'observer. Tout de suite la fumée se trouva condensée en une masse laiteuse, longue à peu près de quatre pouces, dont le bas était horizontal et dont le sommet suivait la courbe de la cloche. Cette masse n'était pas immobile, ni homogène. On y voyait des courants plus clairs et plus foncés. Je ne pourrais mieux vous décrire qu'en vous demandant d'imaginer des fumées de cigarettes d'épaisseurs et de couleurs légèrement différentes, superposant leurs spires et leurs anneaux jusqu'à former un objet aux contours bien définis.

« Nous sommes dans la poésie des halos et des auras lumineuses du tournant du siècle. Les fluides et les lumières de Maurois viennent tout droit des visions colorées que décrivait, le baron de Reichenbach, qui s'intéressa, vers 1860, au problème du rayonnement des corps vivants, et qui déclara avoir découvert une énergie, à laquelle il donne le nom d'od. Elle apparaissait autour de personnes sous forme de halos ou d'effluves de type floral. Maurois cite d'ailleurs Reichenbach dans le roman.

« Il citera encore une autre personne: le Docteur Crooks. Le Docteur James dira s'être inspiré dans ses expériences du Docteur Crooks qui racontait avoir pesé des cadavres d'animaux et avoir constaté après un temps à peu près fixe pour une espèce donnée, une chute brusque de poids... Pour l'homme, il avait estimé cette chute moyenne à dix-sept centièmes de milligrammes. "Donc l'âme existe, concluait-il, et elle pèse dix-sept centièmes de milligrammes"...

« Le Dr Crookes n'était pas un personnage de fiction. Je savais qu'il avait inventé le radiomètre qui porte son nom. Le radiomètre est cet instrument que l'on voit parfois dans les vitrines, et le plus souvent chez les opticiens, qui est constitué d'une ampoule, dans laquelle le vide a été pratiqué et où tournent quatre pales, dont un côté est blanc et l'autre noir. L'explication de ce pseudo mouvement perpétuel tient au fait que les pales sont sous vide et les surfaces noires attirent la lumière et que les blanches la repoussent. Ce sont les photons qui les muent.

« Le Peseur d'âmes portait encore le sigle N.R.F. Il était d'un tout petit format que Gallimard n'utilise plus pour ses romans de la collection blanche. J'ai eu plaisir à lire ce livre qui, bien que marqué par son époque, n'en conserve pas moins sa force, comme peut le faire une photographie ancienne, sur laquelle le regard rétrospectif réactive avec plus de vigueur ce qui était saisi au moment même.

« Il y a toujours une émotion à lire un livre qui est plus vieux que soi. Les pages du Peseur d'âmes avaient bien jauni. Les bords des feuilles, que la lumière et la poussière infiltraient davantage, prenaient des tons francs de nicotine. J'eus le sentiment que dans quelques dizaines d'années le papier s'effriterait. Le livre en tant qu'objet me parut mourir et je craignis que son esprit entamât une disparition. »


Le poids de l'âme, c’est aussi un film sorti le  21 janvier 2004, réalisé par : Alejandro González Inárritu , avec : Sean Penn, Benicio Del Toro, Naomi Watts, Charlotte Gainsbourg, Clea DuVall, Danny Huston, Marc Musso, David Chattam, Teresa Delgado, Stephen Bridgewater. C’est une comédie dramatique américaine de plus de deux heures, sous le titre original : 21 Grams

On dit que nous perdons tous 21 grammes au moment précis de notre mort... Le poids de cinq pièces de monnaie. Le poids d'une barre de chocolat. Le poids d'un colibri. 21 grammes. Est-ce le poids de notre âme ? Est-ce le poids de la vie ?

Paul attend une transplantation cardiaque. Cristina, ex-junkie, est mère de deux petites filles. Jack sort de prison et découvre la foi. A cause d'un accident, ils vont s'affronter, se haïr... et s'aimer….



Je dois me résigner : c’est déjà pas mal que l’âme ait un poids, ça prouve qu’on en a bien une ! Elle est trop lourde pour intégrer un corps de papillon. Dommage !

Mais on sait que le papillon sait, lui, où il va. Se pourrait-il quand même qu’il y ait un rapport, un rapport avec les morts, un signe ?

Vous voyez bien que je perds tous esprit rationnel, que je m’enflamme… !

C’est vrai !

L’âme de vingt-et un grammes, quand elle part, ce que nous racontent avec force détails les livres tibétains dans leurs récits sur la vie et la mort, peut-elle provoquer un signal…

… c’est ça : une âme est partie, elle va se réincarner…

Un homme, qui avait une conscience, un moi, et un sur-moi ; une âme, est mort.

Un papillon passe, ça signifie quoi au juste ?

A l’honorer ? en faire part ? produire un signe ?

En tous cas, ça fait  de l’effet !

un effet papillon ?


Eudia pavonia

Encore une histoire d’yeux


en cliquant sur la boite, vous voyez les femelles à gauche ; les mâles à droite. Une ponte sur la branche verticale en bas. Toutes les mues des chenilles ; et en bas à droite, des coupes dans le cocon en forme de nasse pour voir la chrysalide, et la mue finale
Les planètes Jupiter et Saturne ont toujours été connues comme Zeus et Cronos (Dzeus (enfin, Zdeus) et Khronos).  Zeus était assimilé à une divinité céleste (avant qu'Hésiode ne donne un nom au dieu du ciel, Ouranos), et d'ailleurs son nom vient de la racine indo-européenne «diw», qu'on retrouve dans deus en latin, donc dieu en français, dans le «ju» de « Jupiter » en latin, dans Tuesday en anglais ; mais aussi dans un composé grec comme eudia,( le temps serein) qui signifie « briller » en parlant d'un astre.

D'ailleurs, les Grecs disaient dans le texte : « Zeus pleut ».  Donc il est normal d'avoir trouvé une correspondance entre Zeus et la planète qui se voit quand même le plus, celle que nous appelons Jupiter.  Pour Saturne, c'est vraisemblablement la lenteur de sa course (la plus grande parmi celles que les Grecs connaissaient) qui l'ont fait identifier avec le dieu du temps, Cronos.

Eudia donc brille comme un astre. Et pavonia, c’est l’œil du paon.

Pour nous, c’est le petit paon de nuit. Pour les anglais qui nomment les papillons de nuit : moths, c’est l’ Emperor Moth. Les allemands, eux, distinguent le grand Paon du petit en précisant : Kleines Nachtpfauenauge Saturnia. Les espagnols disent  : pequeño pavón de noche ; et les italiens : piccolo pavone.

C’est un peu plus compliqué que cela encore, car en pratique, le mâle ne vit pas la nuit mais le jour. Disons l’après-midi. En voletant bas le long des lisières, cherchant obstinément comme tout mâle qui se respecte toute odeur susceptible d’être émise par une femelle vierge. Celle-ci vit vraiment la nuit.

La femelle diffère par sa taille très sensiblement supérieure, sa coloration gris brun sans aucune trace de jaune, l'absence de teinte rouge au bord externe des postérieures et les antennes très faiblement pectinées.

Elle arbore au repos une magnifique voilure en V, ourlée d’une bande beige, parsemée de rayures régulières, et décorée dans la macule centrale des fameux yeux du paon. Mais si on la dérange, elle ouvre davantage les ailes pour montrer ses postérieures, qui elles aussi sont peintes de deux yeux de paon. C’est donc quatre yeux que vous avez devant le nez, avec une mise en scène très théâtrale comme si l’on ouvrait un rideau pour le spectacle, et nul doute que vous reculiez instinctivement en vous demandant dans quelle volière vous avez pu tomber ! Le tout sur un fond duveteux du plus beau gris, très peluche pour enfants.

Le petit paon de nuit est originaire d'Europe de l'ouest. Son aire de répartition s'étend approximativement, à l'est jusqu'au fleuve Amour, à l'ouest jusqu'en Grande Bretagne, au sud jusqu'en Espagne et au nord jusqu'en Scandinavie. Dans le sud de la France et en Espagne Saturnia pavonia est remplacée par Saturnia pavoniella, une espèce très voisine. Et à l’Est par Saturnia spini. Espèce intéressante car chez elle le dimorphisme sexuel a disparu, et le mâle ressemble quasiment (à l’exception des antennes) à la femelle.

Le petit paon de nuit fréquente les landes de bruyères, les friches, les prairies arbustives, les forêts claires, la lisière des forêts, les jardins, les haies, les pentes ensoleillées, jusqu'à 2000 mètres d'altitude.

L'imago possède une envergure pouvant atteindre huit centimètres. La femelle est bien plus grande que le mâle. Son corps enveloppé de poils gris est très gros, ce qui est bien normal si l’on songe à la quantité d’œufs qu’elle doit fabriquer et transporter. Le mâle possède des antennes pectinées tandis que celles de la femelle le sont très faiblement. Chez le mâle les ailes postérieures sont jaune orange. Chez les femelles elles sont grisâtres, comme les ailes antérieures. Le mâle possède sur chaque aile un ocelle noir, cerné de jaune et de noir. Avec des reflets blanc à l’intérieur, Dame Nature a imité une fois de plus un œil (de prédateur ?), et nous vous avons déjà fait par de notre trouble, devant cette réalisation si parfaite qui serait due uniquement à l’évolution naturelle des espèces !

Le petit paon de nuit est un papillon univoltin (une seule génération par an). Les imagos sont visibles, (à moduler en fonction de la situation géographique), du mois de mars jusqu'au mois de juillet.

Pour attirer le mâle la femelle émet les fameuses phéromones que le mâle détecte à plusieurs kilomètres à la ronde grâce à la grande sensibilité de ses antennes en râteau. Naturellement, on n’a qu’une envie : répéter l’expérience d’Henri Fabre qui fonctionne aussi bien qu’avec le Grand Paon de Nuit. Avec l’avantage qu’on peut opérer de jour, et dormir la nuit qui suit ! C’est toujours émouvant quand on habite en périphérie d'une petite ville de Saint-Gaudens, mais dans un boulevard tout de même, de voir sortir d’on ne sait où de petits mâles jusque là invisibles, qui vous passent dans les jambes pour chercher la femelle fraîchement éclose, et conservée entre les grillages d’une cage d’élevage. L’odeur met un certain temps pour imprégner le support ; et la plaisanterie habituelle consiste à déplacer la femelle, pour voir les mâles se précipiter à l’endroit qu’elle occupait auparavant ! Et ça les rend fous d’aspirer le parfum à plein nez, et de ne pouvoir toucher l’objet de leur désir ensuite ! Quand la rencontre a lieu, c’est l’extase et on se met tête-bêche, et on se frotte les abdomens ! Et on copule avec conscience et la volonté manifeste d’en profiter un max ! Une fois fécondée la femelle pond un grand nombre d'œufs, jusqu'à trois cents. Grisâtres à vert olive, ils sont pondus la nuit, en plusieurs grappes collées en hélice, tout autour de la tige d'une plante nourricière. Ou en captivité sur les grillages de la cage où on l’a laissée de peur qu’elle fonde sa famille ailleurs !

La chenille étant très polyphage, les plantes hôte sont très nombreuses : les bruyères (Erica sp.), la bruyère callune (Calluna vulgaris), le prunelier (Prunus spinosa), l'aubépine (Crateagus monogyna), le chêne pédonculé (Quercus robur), le tremble (Populus tremula), divers bouleaux comme le bouleau verruqueux (Betula pendula), le bouleau pubescent (Betula pubescens), le bouleau nain (Betula nana), divers saules comme le saule marsault (Salix caprea), le saule petit marsault (Salix aurita), le saule de l'Arctique (Salix phylicifolia), le sorbier des oiseaux (Sorbus aucuparia), l'argousier (Hippophae rhamnoides), le fraisier (Fragaria ananassa), le framboisier (Rubus idaeus), le pommier (Malus domestica), l'aulne de montagne (Alnus incana), la potentille des marais (Potentilla palustris), la fausse spirée (Filipendula ulmaria), la bourdaine (Frangula dodonei), diverses ronces (Rubus sp.), divers charmes (Carpinus sp.), les airelles (Vaccinium sp.).

Il n’y a donc pas d’excuses pour ne pas commencer un élevage !

Au bout de 10 à 17 jours les œufs éclosent. Moi, je choisis la facilité :  les feuilles d’aubépine de la haie d’en face. Les chenilles naissent presque toutes en même temps, laissant vides les coquilles d’où elles sortent ; puis se regroupent. Elles sont grégaires généralement jusqu'au deuxième stade. Au départ noirâtres, elles deviennent progressivement vert jaune, plus ou moins tachetées de noir. Au cours de l’élevage, on conserve les mues successives, car elles sont de plus en plus grosses, en gardant la couleur de chaque stade. Le corps au stade final peut atteindre jusqu'à six centimètres de long, est couvert de verrues jaunes et dotées de soies noires. C’est un bel animal, qui ne doit pas faire peur au jardinier du dimanche !

Vers septembre la chenille arrivée à terme commence sa nymphose. Elle tisse un cocon plus ou moins en forme de poire, accroché aux feuilles et aux branches. Comme le cocon du grand paon, c’est une merveille car il est sphérique, à l’exception d’une ouverture ressemblant à la nasse qui sert aux pêcheurs à capturer les anguilles, se rétrécissant progressivement de l’intérieur vers l’extérieur. A l'intérieur, elle rejette pour finir sa dernière peau comme on jetterait un vieux sac inutile, devient blanche, et  se transforme en chrysalide d’un beau marron comme le fruit du marronnier justement. Et reste à ce stade jusqu'aux premiers beaux jours de printemps qui verront sortir le papillon adulte.

D’abord tout mouillé comme un poussin sortant de l’œuf, il mouille l’opercule fermant la nasse, provoque la dilatation de l’orifice, et sort comme s’il s’agissait d’un accouchement. S’accrochant à tout support proche, il se pend par les pattes, se souffle comme d’habitude dans les nervures, et peu à peu celles-ci s’ouvrent, sèchent, jusqu’à l’apparition des yeux-ocelles parfaits. 

C’est quand ils sont frais que les papillons sont les plus beaux, avec des couleurs très vives notamment celles des mâles. 

J’ai connu avec ce papillon mes plus grandes émotions pédagogiques. C’était à Toulouse, et malgré notre vie en appartement, je continuais à faire un minimum d’élevages, pour conserver la main. Nos fréquentions des amis à Castelmaurou, habitant une vieille maison toulousaine en briques, avec un grand jardin. La décoration intérieure était faite de planches du Dictionnaire Universel d’Histoire Naturelle de Dorbigny, et nous avions des goûts identiques pour les belles choses et la Nature. Dans le jardin, il y avait plein de cerisiers permettant de faire des bocaux de confiture à la fin du printemps. Laure, petite fille à cette époque, allait en classe dans l’établissement privé du Caousou, célèbre ancienne école jésuite bien connue des Toulousains. Il fallait pour chaque élève faire un exercice pratique de Sciences Naturelles, et Laure, dix ans à peu près, de me dire :

-« pourrais-tu m’accompagner en classe de Sciences de la Nature …
......tu pourrais nous montrer tes papillons ? »

Muni des autorisations parentales nécessaires, et de l’accord professoral, je m’exécute, emmène quelques boites, et des papillons vivants, ayant soigneusement choisi la date, qui tombait pile avec une éclosion de pavonia.

J’arrive devant une cinquantaine d’élèves, peut-être même soixante ! Il y avait non pas une classe, mais deux ! Les maîtresses s’étaient donné le mot, c’était l’affluence !

Et je montre les boites. Et j’explique la vie sexuelle des papillons. Qu’il y a des mâles. Qu’il y a des femelles. Qu’ils sont différents. Que les mâles sont beaux et que Darwin a expliqué pourquoi. Que Dieu les a dotés comme ça (j’ai évoqué Dieu pour flatter l’encadrement, mais en laissant les gosses devant leur libre arbitre) pour qu’ils se battent entre eux pour éliminer les faibles et sélectionner les forts. Ce qu’on va faire ensuite à l’Université où ils iront ensuite, (il s’agit des gosses), sachant que ce sera le cas s’ils veulent aller en prépa, pour intégrer une Grande Ecole. Pour les Toulousains, c’est en effet le choix possible car après le Caousou on va au Lycée Fermat, où l’on peut en effet faire les classes préparatoires.

Et j’explique preuve à l’appui que les femelles (du moins chez les papillons) sont moches et grosses, car elles ne servent qu’à pondre. Et que les critères de beauté sont différents des nôtres, car les mâles sont fascinés davantage par le parfum des femelles, que par des critères esthétiques humains comme nous (la silhouette, les yeux, et la poitrine des femmes par exemple). Et je sors mes pavonia, je les mets sur l’épaule, et les filles fondent devant les grands yeux de paon. Elles voudraient les caresser et les emmener chez elles. Les mecs eux me demandent comment on chasse, et où on peut acheter un filet. J’ai la cote chez les mômes, et Laure qui m’a amené obtient un franc succès.

Et je distingue au loin (parce que passionné par mon sujet, je n’avais pas prêté attention aux adultes) deux maîtresses, les maîtresses des deux classes. Et leurs yeux étincellent. Elles me regardent de leurs grands yeux accusateurs, car je suis sur le fil de rasoir avec mes histoires sexuelles, et est-ce que je n’exagère pas un peu en racontant aux filles que les femelles ont un gros corps pour y ranger leurs œufs ? Parce que chez les humains n’est-ce-pas, les œufs sont tout mignons et tout petits. Ils sont propres et discrets car ils restent à l’intérieur, on ne les pond pas sur une branche, et on n’exhibe pas devant tout le monde ces détails un peu obscènes, surtout dans une école privée !

Laure a eu dix huit, et son exposé (par délégation) a été jugé au top par le conseil des profs !

Les parents ont été ravis, et j’ai été élevé au grade de Maître-es-papillons !

Merci pavonia, il faudrait expliquer tout ça davantage aux gosses !

Ce sera à eux de protéger demain les papillons !