mardi 29 mars 2011

mes amis sphinx

posent toujours des énigmes

à chaque sphinx sa plante nourricière  lui donne son pré-nom

Dans la mythologie grecque, le Sphinx ou la Sphinge est une créature fantastique appelée Phix dans le dialecte béotien, fille de Typhon (ou d'Orthos) et d'Échidna, ou encore selon Hésiode d'Orthos et de la Chimère. Elle est représentée avec un buste de femme, un corps de lion et des ailes d'oiseau.

Le mot grec est féminin, ce qui explique les transcriptions anciennes «Sphinge» ou «Sphynge». L'usage français a retenu le masculin pour le mot. Nos sphinx à nous sont bien sexués, même s’il faut bien avouer la difficulté de distinguer aisément Monsieur et Madame : ce sont des papillons. On peut avec de l’imagination leur prêter un puissant corps fuselé de lion si l’on veut. Des ailes d’oiseau qui ont été copiées par les avions de chasse. Tout en eux est inspiré par l’aérodynamisme et a été optimisé dans une soufflerie, bien que leur vitesse ne soit pas supersonique. Au repos, leurs ailes sont repliées en toit, les ailes postérieures complètement cachées. En action, ce sont des chasseurs de nuit, et ils manœuvrent au radar bien avant son invention au début du XXè siècle. Leur ravitaillement a été prévu pour se faire en vol, grâce à une longue trompe leur permettant le transvasement depuis les fleurs les plus profondes. Et on a déjà vu pour Atropos que comme un avion de chasse, il porte sur le fuselage les marques de ses victoires, dans le cas d’espèce le crâne d’un ennemi défait. En tous cas c’est un homo sapiens, et ce crâne humain sur un thorax de papillon fait réfléchir les hommes depuis la nuit des temps.


Envoyé par Héra en Béotie suite au meurtre du roi de Thèbes Laïos, notre sphinx commence à ravager les champs et à terroriser les populations. Ayant appris des Muses une énigme, il déclare qu'il ne quittera la province que lorsque quelqu'un l'aura résolue, ajoutant qu'il tuera quiconque échouera. Il sonne au fond le début des jeux télévisés. Le vainqueur va gagner des millions. Le vaincu sera décapité, la honte à la télé.

Le régent, Créon, promet alors la main de la reine veuve Jocaste et la couronne de Thèbes à qui débarrassera la Béotie de ce fléau.

Je dois faire une parenthèse au sujet de la situation de Jocaste, qui est encore une toute jeune veuve quand survient cette histoire : elle a été mariée à Laïos roi de Thèbes dont nous venons d’apprendre la mort. Vingt ans auparavant suivant nos propres déductions,  un oracle (venu de Delphes naturellement) a averti Laïos que s’il engendre un garçon, il tuera son père et épousera sa mère. Laïos, prudent, se garde alors de toute relation avec son épouse. Une nuit pourtant, il abuse de l’ambroisie et autres liqueurs fermentées en usage à cette époque. Trop de chasteté nuit voyez vous ! Et sous l'emprise de la boisson, il ne peut résister, il exerce son droit conjugal. Il est Roi quand-même ! Pas de pilule du lendemain, et on va en voir les conséquences,  Jocaste  engendre neuf mois plus tard Œdipe. Pour conjurer l'oracle, le père abandonne l'enfant au bec des vautours du mont Cithéron. Mais Œdipe est recueilli par le roi de Corinthe, Polybe, et élevé loin de Thèbes. Du coup, il ne connaît pas ses parents, ni père, ni mère. Orphelin total il est Oedippe. Je vous dis pas les frustrations de ses moi et  surmoi. Freud aurait adoré ce patient perturbé. Il se  rattrapera plus tard.

C’est même pire que ça, et nous imaginons qu’Œdipe a maintenant vingt ans. Il  est majeur, car à l’époque on était un homme bien avant l’âge actuel d’entrée dans la vie active, cet  âge étant décalé à cause de la longueur des études universitaires, bref. Il a du changer, sans doute porte-t-il la barbe ?

Laïos que nous avions perdu de vue est toujours roi de Thèbes et se rend à Delphes. Il croise Œdipe sur une route étroite, alors que celui-ci fuyait Corinthe. A-t-il eu de mauvaises relations là-bas, tout porte à le craindre ! Voilà pourquoi nous vous avons relaté l’ambiance sulfureuse qui y régnait, à moins qu’Oedipe ne sorte d’une cure préventive chez le psy Antiphon, et que ça l’ait perturbé au point de vouloir fuir ? On ne sait pas. Cela ne change rien au drame qui va suivre : Œdipe laisse passer le convoi du roi, mais un écuyer tue un de ses chevaux (ou bien le convoi lui roule sur le pied selon les versions). Dans tous les cas ça ne se fait pas. Une bagarre éclate alors dans laquelle Laïos est tué par son propre fils. Ainsi, la malédiction se réalise. Et Jocaste devient veuve.

Je reprends le moment où Créon a promis la main de Jocaste à celui qui résoudra l’énigme apprise des muses.

De nombreux prétendants s'y essaient, mais tous périssent jusqu'à l'arrivée d'Œdipe. Œdipe ne paraît pas du moindre troublé par le meurtre de Laïos. Il ignore sans doute qu’il s’agit de son père, mais quand-même, il vient de tuer un Roi ! Mais que fait donc la police ? Et le voilà qui s’essaie à résoudre des énigmes. Quel sang-froid !

Il arrive devant le sphinx. Et ce dernier lui pose la fameuse énigme,  l’énigme du sphinx :

                                     Là voilà telle quelle, en grec : illisible hein ?


                        τί στιν μίαν χον φωνν τετράπουν κα δίπουν κα τρίπουν γίνεται

« Quel être, pourvu d’une seule voix, a d’abord quatre jambes, puis deux jambes, et trois jambes ensuite ?"

Deux mille cinq cent ans plus tard, on nous l’a fait cent fois et nous connaissons la réponse.

Il s’agit de l’homme. Enfant, il a quatre jambes, car il se déplace à quatre pattes ; adulte, il marche sur deux jambes ; quand il est vieux, il a trois jambes, lorsqu’il s’appuie sur son bâton.

Chez nous il ajoute quatre roues sur son fauteuil roulant, parfois électrifié, mais le sphinx ne pouvait prédire ces modernisations, auxquelles se sont ajoutées le portable, la télé, la pilule  et autres révolutions inimaginables chez les grecs. En tous cas, furieux de se voir percé à jour, le Sphinx se jette du haut de son rocher (ou des remparts de Thèbes selon les auteurs) et meurt. C'est ainsi que, Créon tenant sa promesse, Œdipe épouse  Jocaste. Nous savons, qu’elle est sa mère biologique, mais lui l’ignore. Ca va être le début d’un tas de dégâts collatéraux : comme disent les gosses dans les banlieues, on ne nik-pas-sa-mèr. Ca donne ce qu’on appelle chez les psy des complexes.

Il faut que je vous en parle un peu car pour moi, c’est ça la vraie énigme du sphinx et que vous soyez garçon ou fille, ça marche pour vous puisque le complexe peut être dans le bon sens (pour un garçon) mais pour une fille il existe aussi, sauf qu’alors il est inversé.

Dès trois ans, le garçon a l'intuition des jeux sexuels susceptibles de provoquer des sensations voluptueuses en présence d'une partenaire comme il suppose que cela se produit entre son père et sa mère. Il exhibe dès lors son pénis à sa mère et rencontre la rivalité de son père, d'abord modèle puis rival.

Cette approche est simplificatrice parce que ce n’est pas notre sujet et que je fais vite. Elle se conjoint en fait avec la position liée à la "solution" sexuelle inverse : séduction du père, hostilité jalouse à l'égard de la mère. C'est ce que l'on appelle "oedipe inversé" ou "oedipe féminin »

La phase phallique est suivie du complexe de castration : quelle que soit la solution choisie (en fait dans la majorité des cas une solution composite) le pénis se retrouve imaginairement en jeu : soit menace de castration imaginaire comme sanction par le père dans la rivalité qui oppose l'enfant mâle à son père pour la possession de la mère, soit castration imaginaire dans le cas d'une identification féminine à la mère dans une position de soumission/séduction homosexuelle passive du père. (la femme étant imaginairement perçue comme castrée).

Pour le petit garçon, s'il veut échapper à cette situation, il est conduit à renoncer à la satisfaction sexuelle avec l'un ou l'autre de ses parents, chacune des possibilités ainsi évoquées étant soumise à une menace imaginaire de castration. Il est conduit à renoncer aussi bien à la possession sexuelle de sa mère (risque de castration imaginaire par le père) aussi bien qu'à la séduction de son père (castration imaginaire par identification à la mère castrée). Par conséquent on peut dire que le garçon sort du complexe d'Oedipe du fait de la menace de castration. Le jeu des identifications conduira au déclin du complexe d'Oedipe, l'enfant constituant sa personnalité de façon composite en empruntant les éléments constitutifs de sa personnalité aussi bien à la mère qu'au père.

Depuis la célébrité de Freud, personne n’ose plus contester ce qui serait une fatalité : tout être humain serait condamné à subir le complexe d’Œdipe, puis à en sortir (grandi). C’est entre autre pour cette raison que la société bien-pensante refuse aux parents du même sexe d’élever des enfants, puisque ceux-ci ne sauraient s’identifier au parent du sexe manquant. Pire encore, certains craignent que des parents homosexuels condamnent leurs enfants à le devenir … par contagion ! Il en reste, des préjugés ! Comme tout cela  manque de simple bon sens et surtout de tolérance !

 Tout ceci nous ayant éloignés à des années lumière des papillons qui sont les sphinx-sans-sexe tels que nous en avons parlé au début de cette histoire, (et qui font pourtant des enfants).

Ce qu’il faut retenir de leur rôle finalement est qu’ils posent des énigmes qu’ils ont piquées aux Muses.

Dans la mythologie égyptienne, le mot sphinx existe aussi : il désigne un lion à tête humaine (parfois à tête de faucon ou de bélier) qui monte la garde aux portes du monde souterrain.

Les sphinx  incarnent la puissance souveraine du pharaon et sont d'abord chargés de veiller sur sa nécropole. Le plus connu est le sphinx de Gizeh qui se dresse devant les grandes pyramides du plateau de Gizeh. C'est surtout à partir du Nouvel Empire qu'ils se multiplièrent à l'entrée de la plupart des temples sous la forme de longs alignements de sphinx se faisant face de part et d'autre de la voie d'accès.

C’est de ces statues de pierre qu’on retient leur immobilité, ainsi que leur côté  énigmatique naturellement puisque leur conversation hiéroglyphique est quand-même limitée.

En introduction, je vous ai présenté rapidement la famille des sphingidae en évoquant les papillons adultes, la difficulté d’identification des deux sexes, et l’allure d’un avion à réaction fonçant dans la nuit noire à la recherche du partenaire, ou de la fleur des liserons pour le papillon dont la chenille vit sur le convolvulus.

Car généralement, le nom des sphinx va continuer d’être binomial : le nom sphinx suivi de la plante nourricière. On a parlé de populus qui donne populi au génitif ; Il y aura ligustri (du troène) : convolvuli (du liseron) ; tiliae (du tilleul) ;  nerii (du laurier rose) ; euphorbiae (de l’euphorbe) ; pini (du pin) ; populi (du peuplier que nous avons vu précédemment) ; etc…

Et c’est à la chenille qu’il faut nous intéresser maintenant. Car les chenilles de sphinx leur ont donné leur nom, cela à cause de leur allure composite, ni mâle, ni femelle, et parce que leurs formes ; couleurs et  attitudes sont vraiment singulières.

La chenille du Sphinx du troène compte parmi les plus belles, et les plus grosses, qui puissent se rencontrer en France. Hormis celle du Grand paon de nuit, il n'est guère que celle du Sphinx tête de mort dont nous avons parlé pour la supplanter en taille et beauté. Sa posture de prédilection fait penser au sphinx d’Egypte : une "hiératique attitude », très impressionnante. Comme la sphyngide mythique, qui fait peur à tout le monde et pose les questions qui tuent (les ignorants).
 
Bien entendu cette chenille se développe sur les troènes, y compris sur les haies "urbanisées", mais aussi sur les frênes, forsythia, sureaux, et lilas. Le développement est rapide, et à titre d'exemple moins de quatre semaines se sont écoulées entre la naissance des petites chenilles et leur arrivée à maturité.
 
Typiquement la plupart des chenilles de Sphingidae portent une sorte de corne, un"scolus", plus ou moins différencié, à l'extrémité de l'abdomen. Celle du Sphinx du troène est particulièrement développée, et acérée, mais en dépit de ses allures d'aiguillon elle est parfaitement inoffensive.

Le mimétisme est courant chez les sphingidae, et l’imagination des coloristes s’est déchaînée soit en copiant des formes et les couleurs pour intégrer l’animal dans les feuilles vertes ambiantes, soit comme chez Euphorbiae pour exhiber une gamme chromatique violente, montrant les risques d’ingestion par le prédateur d’une proie empoisonnée.

ligustri
Arrivée au terme de sa croissance la chenille cesse de s'alimenter, et tend à plus ou moins se "marbrer" de brun jaunâtre, voire à carrément "virer" de couleur. Dans le même temps elle témoigne d'une agitation frénétique. Notre chenille-sphinx est en mal de nymphose, et surtout en quête d'un gîte à sa convenance, et en l'occurrence d'un lieu d'enfouissement, puisqu'il en est ainsi pour toutes les espèces de Sphingidae. La chenille va s’enterrer, et quand on pratique un élevage, il est prudent de livrer une belle tranche de terre meuble à nos amies pour qu’elles puissent s’enfouir. Parfois de vingt bons centimètres pour Atropos.

tiliae
Le cycle va se poursuivre dans les profondeurs du sol pendant tout l’hiver, dans le secret de la chrysalide.

L’adulte éclora l’année suivante surgissant de sa cachette. Il lui faut un support et déplier les ailes, avant de vivre sa vie d’adulte.

Si j’avais été  sphinx, voilà l’énigme que j’aurais soumise à Oedippe : je ne me serais pas gêné, je l’aurais tutoyé (il va falloir traduire en grec, qui donc peut m’aider ?) :

« Dis-moi l’être vivant capable de ces prodiges : Il nait d’un œuf. Devient une larve rampant comme une chenille-qui-se-prend-pour-une-feuille. Un jour, elle se pend à une branche. Ou alors elle se suicide en s’enfonçant sous terre. Non seulement elle n’en meurt pas, mais quand elle se réveille de ce coma, elle vole comme un avion, fait peur avec ses yeux, ne rêve que rigoler, pond des œufs du jour,  et puis meurt. »

porcellus : la vigne

…l’individu en question est parfois maniaque avec ses affaires. Il les emmène dans sa tombe, comme sa trompe dans un étui séparé, avant de ressuciter.



                                                                ….si c’était ça l’énigme ?

convolvuli, avec l'étui (qui n'est pas pénien...) de la future trompe