vendredi 14 janvier 2011

Apatura ilia

évidemment à la lumière, on voit mieux les reflets violets

L’Histoire de Apatura Ilia,
ou l’énigme de la deuxième génération

Apatura Ilia est le petit cousin d’Apatura Iris déjà nommé. Il est moins prestigieux mais possède en commun ce reflet chatoyant bleu-violet qu’il ne partage ensuite qu’avec quelques Lycènes.

En Angleterre où Iris est le Purple Emperor à part entière, Ilia est le lesser purple emperor.

Ilia n’a plus aucun rapport avec ses propres irisations : on revient aux bonnes manières, à l’étymologie : l’allusion c’est le Gaffiot qui nous la donne : Ilia = Rhéa Silvia, fille de Numitor, et rien moins que mère de Romulus et Rémus.

Nous devons cette référence à Schiffermüller  qui a nommé Ilia en 1775, vous voyez que ce n’est pas hier tant ce papillon très répandu a vite figuré dans les collections, motif ses reflets changeants.

La chenille se repaît de saules et peupliers, et le papillon est un amateur de vallées humides et ensoleillées. Quand j’étais môme, j’ai toutefois des souvenirs précis du potager de Mimbaste, dans les Landes, qui appartenait à la belle propriété de tonton Ernest, l’épicier de Mimbaste. Il existe une publicité fameuse de la traction avant commerciale dans les années cinquante, hayon arrière ouvert, dressé en l’air, (c’était une porte « papillon »), deux planches posées par terre reposant sur le coffre, pour faire rampe. Et un costaud en blouse poussant un tonneau énorme, avec la prétention légitime grâce à André Citroën de le faire entrer dans la partie arrière destinée aux marchandises. Eh bien pour moi c’était tonton Ernest, épicier de Mimbaste, qui faisait ses achats en traction avant 15CV, et passait son temps à décharger ses véhicules de livraison. Tout en filant vite dans les petits chemins, grâce à son véhicule révolutionnaire.

Le potager était planté de palissades de poiriers ; les poires tombées constituaient d’odorants appâts, et combien de fois j’ai surpris dessus des papillons aux reflets violets, tournant autour des poires blettes avant de se jeter dessus, trompe jaune déroulée ! C’était Ilia, toujours présent quand il s’agit de se mettre à table !

Car la date de vol, c’est fin juin, début juillet, pendant 15 à vingt jours environ….

…partout ailleurs en Europe centrale.

Et voilà comment finit une histoire de pêche, à Bourret exactement.

A Bourret où, au milieu des trous harmonieusement creusés par les préleveurs de graviers –il en faut pour construire les routes- se pressent les pêcheurs du dimanche, venant de Toulouse ou d’ailleurs.

Dès le 20 août 1970, j’avais eu l’attention attirée par cet endroit car, sur les plages de galets découvertes par l’étiage de la Garonne, j’avais observé Apatura Ilia variété clytie (nous y reviendrons), papillonnant sur les cailloux, en plein midi, à l’heure la plus chaude de la journée : sans doute attiré par les effluves puissants provenant de la vase en train de sécher ?

Le 20 août, c’est bien tard pour un papillon qui vit en moyenne trois semaines, et qui éclôt au plus tard le 5 juillet. Et celui-là était bien frais, quoique légèrement déchiré.

Et ça n’était pas une coïncidence quand j’attrapais une femelle –eh oui- intacte à treize heures le 25 , posée sur un tas de pommes pourries (on ne pouvait lui en vouloir) attendant la prochaine crue pour être débarrassées du verger.

On a déjà vu que les Apatura sont célèbres pour leur attirance  pour les matières malodorantes en cours de décomposition (déchets de viande ; fromages fermentés). Les chasseurs abusent de cette prédilection qui vise surtout les mâles. Les femelles, qui encore une fois volent peu, paraissent plus friandes de matières sucrées. Tout rapprochement avec des humains ayant réellement existé serait bien évidemment fortuite.

Je reprends un couple le 12 septembre, se chauffant au soleil dans un saule, un viminalix, le saule blanc commun le long des rivières, avec ses feuilles lancéolées, grises par dessous, qui donne une couleur argentée aux bouquets nombreux le long du fleuve. Encore un mâle très frais posé sur le chemin le 20 septembre.

Aucun doute n’est plus permis : il s’agit bien d’une seconde génération !

D’autant que les individus capturés sont… bizarres !

Pas comme l’est Apatura Ilia d’ordinaire.

C’est parce que Ilia a une particularité : sa femelle donne des individus de deux formes : la première Ilia pure a des dessins blancs sur le fonds pourpre habituel. Chez la seconde, ces mêmes taches sont carrément jaunes et est pour cette raison, appelée Clytie. C’est la variété du midi, de l’Italie ; de Florence. On fonce sur notre Gaffiot, pour découvrir que s’agissant de clytie, c’est Océanide, aimée d’Apollon, métamorphosée en héliotrope. Elle-même plante borraginacée odorante à fleurs bleues ou blanches des régions chaudes dont la fleur se tourne vers le soleil. Je ne vois pas trop le rapport, et ai beau consulter dottore Verity, il ne donne aucune explication plus satisfaisante.

Du coup, on finit par comprendre : Ilia normal est très peu commun dans notre région. Et on voit surtout Clytie, qui en rajoute car non seulement il est jaune, mais ce jaune s’étend partout, on dit que la couleur est « suffusée », au point de masquer partiellement le célèbre reflet.

En regardant de plus près Verity, il donne quand même une explication : il cite un compatriote, Rossi, rien à voir avec le chanteur, qui connaît une forme clytie du midi, qui a ces deux générations ; c’est la variété EOS.

Ainsi donc, nous serions…EOS… « l‘aurore, les contrées orientales… »

Facile à vérifier : puisque de deuxième génération il s’agit, reste simplement à trouver la première qui a fortiori, doit voler en mai-juin ?

Facile à dire…

Pour des raisons multiples, crue de la Garonne au printemps, autres recherches à Saint-Antonin de surcroît, la seule visite possible en cette période est le 26 juin 1971… sans résultat ; peut-être trop tard ?

Par contre, dès le 1er juillet et probablement légèrement avant, Apatura Ilia est présent en forêt de la Grésigne, souvent frotté, donc déjà vieux.

Mais il n’y était pas le 19 juin, malgré le beau temps ; ni le 14 août, date d’une éventuelle F2 (c’est le nom de la seconde génération).

Alors, c’est Ilia pur qui habite la Grésigne ? A ce propos, il ressemble assez à Iris !

Bel imbroglio… !

Reste à se contenter de Eos F2 de Bourret, fidèle au poste dès le 8 août 1971. Dès 10 heures, le premier mâle Clytie exposé ailes ouvertes dans un saule, est capturé avec un filet à rallonges dans les mêmes conditions que l’année précédente. Une femelle Clytie Laura très grande et toute jaune est prise peu après, posée sur des plantes basses. Laura paraît être la forme extrême de suffusion du jaune voyez-vous ! dixit Verity !

Les captures s’échelonnent ensuite pendant les deux mois d’août et septembre, car il faut bien repérer toutes ces nuances, ces sous-sous espèces et leurs variations !

Mêmes mésaventures avec F1 en 1972, et mêmes captures de la F2 du 6 août au 16 septembre. Sauf à découvrir un verger de pommiers, qui attire manifestement les mâles : plus facile à les prendre par terre sur les pommes en voie de décomposition. En lisière, des cardères sauvages (dipsacus fullonum) ; c’est le perchoir habituel des chardonnerets. Eh bien les femelles de clytie s’y réfugient ! Bizarre. L’avantage, c’est qu’elles sont plus accessibles, à un mètre cinquante de hauteur, que sur les saules. L’inconvénient, c’est de devoir jeter un filet d’étamine sur les inflorescences hérissées de piquants ! gare aux trous !

Que ressort-il de tout cela ?

On peut classer les exemplaires observés en quatre groupes très distincts, où les femelles surtout sont caractéristiques :

-des individus Ilia, peu nombreux, plutôt petits, avec des formes variables, soit les ailes élancées typiques, soit des formes plus rondes.

-des exemplaires Clytie typiques, où la différence avec les précédents (on ne croirait jamais qu’il s’agit de la même espèce), consiste en une taille plus grande ; une couleur très franche ; la coloration en jaune des taches blanches ; et de la bordure externe des postérieures.

-Dans cette forme clytie, de nombreuses variations concernent la fameuse « suffusion » de jaune à l’orange. Celle-ci est plus ou moins étendue, mais peut envahir une grande partie des ailes, pour les mâles dans toutes les parties violet-changeant, pour les femelles aux endroits sombres. La taille est variable, ainsi que la découpe des antérieures.

-A l’extrême, la diffusion jaune envahit les ailes. C’est la variété Laura : seuls se distinguent encore les ocelles des postérieures et des postérieures. Ainsi que des points marron, vestiges de la bordure sombre ante-marginale.

Les mœurs des adultes offrent nombre de particularités intéressantes : les mâles dont le vol vif est facilement reconnaissable, se réchauffent au soleil, perchés sur les plus hautes branches des saules ; de temps en temps en compagnie des guêpes ils pompent les sécrétions des feuilles ou de l’écorce. Dès 9H30, on peut les observer formant une tache orange très visible se détachant parfaitement sur le vert pâle des feuilles. Au contraire, à la fin de la matinée, ils volent au-dessus des galets recouverts d’algues et de vase séchée, en décrivant de grands cercles, en plein soleil.

Les femelles sont plus sédentaires. Très reconnaissables à cause de leur grande taille, elles se déplacent d’un vol plus lourd, en planant brièvement et observant de grandes haltes.

Reste plein de points à préciser :

Cette première génération d’abord, dont M Rouzier, au musée de Montauban, possède quelques exemplaires pris dans la vallée de la Garonne justement, et catalogués 7 mai ; et 16 juin. (confluent de la Sère, à St-Nicolas de la Grave)

La localisation de cette fameuse race EOS, si EOS il y a ! et surtout sa limite nord, son étendue !

L’élevage de la chenille, perdue comme une aiguille dans la botte de foin de tous ces saules !


Du travail d’entomologiste pour bien des années … !


Si cela intéresse quelqu’un bien sûr !