dimanche 20 février 2011

Anthocaris Cardamines

Ou l’extase d’Aurore


l'aurore est à droite, avec un oeuf oblong sur une fleur de cardamine
la cousine de Provence (jaune) est à gauche
L’aurore, appelée parfois piéride du cresson (Anthocharis cardamines) est un insecte lépidoptère appartenant au sous ordre des Ditrysia, à la super famille des Papilionidés (Papilionoidea) à la famille des piérides (Pieridae), à la sous famille des Pierinae et au genre Anthocharis. Pour les anglo-saxons, c’est le premier des orange-tip, à cause de la tache orange qui orne l’extrémité des ailes antérieures du mâle. Alors que la femelle a des couleurs blanches entremêlées de vert plus pâles, qui lui permettent de rester invisible dans l’ambiance verte des premières pousses du printemps.

Voir l’aurore voleter sur les plantes vertes fraîchement poussées des bords de nos chemins signale chaque année l’arrive du printemps.


C’est un papillon univoltin répandu dans pratiquement toute la France et dans une grande partie de l'Europe. L'aurore fréquente divers milieux comme les prairies et les forêts humides, mais également des milieux secs ouverts (prés fleuris, jardins, haies, chemins, lisières des forêts…) jusqu'à 2000 mètres d'altitude. C’est un papillon assez commun, pas du tout comme son cousin provençal dont nous vous avons déjà parlé : euphenoides.

L'aurore mesure de 35 à 50 millimètres. L'imago est visible du mois de mars/avril jusqu'au mois de juillet/août (en fonction de l'altitude) sur diverses plantes, essentiellement des crucifères, dont il butine les fleurs.

L'aurore possède un corps noir avec une pilosité grisonnante. Ses antennes, blanchâtres, sont claviformes. Les ailes antérieures sont blanchâtres avec une zone foncée à leur base. Chez le mâle l'aile antérieure possède une tache orangée sur la moitié externe ainsi qu'une petite tache noire. Le bord de l'aile antérieure est tacheté. Chez la femelle la tache orangée est absente et la tache noire est plus étendue, en forme de croissant. Chez le mâle et la femelle l'aile postérieure est mouchetée de gris et de vert ce qui assure un bon camouflage lorsque l'aurore a les ailes complètement repliées. Elle n’exhibe alors qu’un quart de sa surface alaire, et reproduit un filet de camouflage bien supérieur à celui dont on recouvre les matériels militaires.

En mai/juin la femelle pond ses œufs, rougeâtres, isolément sur les boutons floraux de diverses crucifères (brassicacées) comme la cardamine des près (Cardamina pratensis) d'où elle tire son nom, mais également la moutarde sauvage (Sinapsis arvensis), l'alliaire (Alliaria petiolata), le sisymbre officinal (Sisymbrium officinale), l'arabette glabre (Arabis glabra)…

L'éclosion a lieu généralement au bout de sept jours. La chenille adulte mesure environ trois centimètres de long. La chenille est globalement verte avec une zone blanche latérale de chaque côté. Elles sont bienvenues ces lignes blanches, car quand la chenille est allongée sur une tige, elle devient quasiment invisible. La chenille s'attaque en premier lieu aux fleurs puis aux fruits de la plante hôte, qui sont des siliques comme vous le savez maintenant. Il est à noter justement une certaine ressemblance entre la chenille et les siliques. Elle n'attaque les feuilles qu'en cas de nécessité.

La nymphose a lieu généralement au mois de juillet/août. Les chrysalides, ceinturées, sont pointues et incurvées ce qui leur donne un aspect d'épine qui leur permet de passer inaperçues. Décidément, tous les stades auront permis de mettre en valeur au plus haut point les capacités de camouflage qu’offrent F.O.M.E.C tel qu’on l’apprenait quand le service-militaire obligatoire décortiquait aux novices les bases du camouflage à l’armée : Forme (d’une brindille). Ombre (les taches). Mouvement (il faut se déplacer lentement). Eclat (mieux vaut revêtir des couleurs mates). Et Couleur (intégrées dans l’environnement). C’est l’art de la mimèse. Les chrysalides passent l'hiver avant l’éclosion du printemps.

Nous vous avons raconté que Anthocaris, signifie en grec : « la grâce des fleurs ».  La grâce des fleurs … de cardamines, c’est vraiment bien trouvé. Bravo Linné (toujours lui, en 1758). Quel travailleur infatigable !

Les Grâces, ce sont aussi les trois, les trois grâces : déesses qui personnifiaient la Beauté et  la Grâce qui va avec, les Charités (Caritae) ou Grâces (Gratiae) chez les romains, étaient à l'origine des divinités de la végétation. Elles habitaient l'Olympe et faisaient partie de la suite de plusieurs dieux ou déesses.
Elles étaient déjà mentionnées par Homère et Hésiode. On faisait d'elles les filles de Zeus et d'Eurynome, ou aussi d'Hélios et d'Aeglé, ou de Dionysos et de Coronis selon les auteurs.

On en comptait trois dont les noms diffèrent selon les auteurs : Euphrosyne (la joie de l'âme), Thalie (la verdoyante) et Aglaia ou Aglaé (la brillante) la plus jeune, qui passe selon Hésiode pour l'épouse d'Héphaïstos à la place d'Aphrodite. Comme vous le devinez déjà, les noms des Grâces ont été donné à des papillons notamment le beau nacré : Aglaja. Même chose pour  Euphrosyne qui a donné son nom à un boloria, petit papillon de la famille des argynides également. Par contre, les parents qui recherchent des prénoms pourraient s’inspirer de la mythologie, et quand on est écolo, pourquoi pas nommer sa petite fille : Thalie, la verdoyante ?


Je vais maintenant vous expliquer pourquoi, de manière certes un peu extravagante, je  parle de l’extase d’Aurore !


Eôs (Hvs) est la déesse de l'Aurore, identifiée à la déesse Aurore des Romains, elle était la fille des Titans Hypérion et Théia et donc la sœur de Séléné et d'Hélios. Elle ouvre la marche du soleil dans de nombreux tableaux classiques comme celui de Guido Reni.

Aphrodite, furieuse de trouver un jour Arès, son amant, dans le lit d'Eôs, la condamna à de continuelles amours avec de jeunes mortels. Timide et rougissante, bien qu'elle fût déjà mariée à Astraeos qui était de la race des Titans, elle se mit donc en secret à séduire des jeunes gens, les uns après les autres.

D'abord Orion qu'elle emmena à Délos ce qui causa sa mort. Puis Céphale, puis Clitos petit-fils de Mélampous. Enfin Eôs fit la conquête de Ganymède et Tithonos, fils de Tros (ou d'Ilos).

Vous voyez : c’est une grande amoureuse, et elle est condamnée pour l’éternité à séduire les jeunes gens !


Un grand bonheur pour l’être humain curieux que nous sommes, est de pouvoir observer la cour que se font deux Aurores posées sur des cardamines. Le jeune-homme, lui, est tout innocent. Il ignore les plaisirs de l’amour, tout absorbé qu’il est pas l’odeur entêtante des phéromones dont il fait la découverte envoutante. La femelle, elle, en vraie professionnelle,  relève son abdomen en l’air, entre les quatre ailes rabattues. Elle frémit de tout son petit corps, diffusant à plein débit les fameuses phéromones, étourdissant le prétendant, lui ôtant toute capacité de libre arbitre, le poussant vers la seule impulsion du désir. Le mâle vole sur place, au-dessus d’elle. Il l’aborde, il ne peut faire autrement. Ils font connaissance assez rapidement, les préliminaires raccourcis au maximum. Les corps se touchent ; ils s’accrochent, tête-bêche, les deux papillons inversés. Et  amarrés tous les deux, il s’envolent gauchement, ne pouvant voler facilement, leur tandem exigeant une trop formidable synchronisation ; ils se traînent de fleur en fleur, « bateau ivre qui va où ses voiles le mènent » dit le poète.

Edgar Morin dirait qu’ils sont en « pleine combustion amoureuse ». On vit avec eux un moment de grâce et de sexe, et on pense à Philippe Sollers :

L’Art sans Sexe n’est pas de l’Art, mais le Sexe sans Art n’est pas du Sexe.


Et Dieu dans tout ça ?
Il est par là.

(Un vrai roman, p. 158)

Je pense à l’extase de Sainte-Thérèse, que nous a révélée Dan Brown en 2003 dans The Da Vinci Code, deuxième volet de la trilogie Robert Langdon. Vous savez que l’un des messages du roman est que l'union sexuelle, qui laisse toute la place à l'altérité homme - femme est un moyen privilégié d'entrer en contact direct avec Dieu (voir la scène du Hieros Gamos, Union sacrée) .…« L’extase de Thérèse d’Avila, telle qu’elle est représentée par le Bernin dans la chapelle Cornaro à Rome, est un exemple, particulièrement subtil, de l’imbrication de la sensibilité religieuse et de la sensibilité esthétique », nous dit le commentaire de cette œuvre baroque devenue célèbre.

« Entre nuage porteur et rayons d’or qui tombent de la voûte, l’ange se tient debout au- dessus de la sainte -léger, aérien, rieur- et c’est bien sa grâce sans entrave qui aimante la lévitation, corrige en courbe ascendante l’abandon du corps terrassé et maintient les paupières mi-closes entre vision radieuse et sensations torrentielles. Le bras droit de l’ange est encore infléchi sur le retrait de la flèche qui a traversé le cœur de Thérèse et il suffit d’aller de ce geste sûr et sans poids à l’affaissement désordonné du vêtement monacal pour saisir la distance entre la grâce et la pesanteur et pressentir leur rencontre dans ce corps tumultueux et ravi ».
















On n’est pas très loin, sauf à y être complètement, dans ce qu’il faut bien nommer un orgasme, et il n’y a pas mieux que Philippe Sollers pour en décrire les sensations !

« Le mot ‘orgasme’ (du grec orgân, ‘bouillonner d’ardeur ’), a d’abord désigné les accès de colère, note l’auteur. Transposé à la sexualité, il est sensé indiquer ‘ le plus haut point du plaisir sexuel ’. Bien entendu, le modèle de définition reste officiellement le moment de l’éjaculation masculine (seule vérifiable). Tardivement, le dictionnaire admet qu’une femme peut avoir deux sortes d’orgasmes, un vaginal, un clitoridien, et qu’elle « peut éprouver plusieurs orgasmes successifs au cours du même coït ».

Nous sommes dans un traité d’histoire des papillons, je vous le rappelle ! Et toutes ces transpositions aux humains supérieurs que nous sommes ne vise qu’à vous faire vivre les sensations de mademoiselle Aurore. Et de Monsieur, découvrant l’amour comme une fulgurance !

« …Tout à coup, dans un demi-sommeil, l’action fulgurante d’un big-bang, explosion, projection à une vitesse folle, chaos, cosmos, terre, existence, fusée tirée d’on ne sait où vers on ne sait où. Vitesse du son ? Non, bien plus. De la lumière ? Non, trop lente. C’est une propulsion instantanée à travers la matière, atomes et cellules, un coup de canon dans le vide, coup de semonce, coup de semence, avec pour seul résultat d’être là. Là, mais où ? Plus de où. Trouée dans le où. Et voilà une grande certitude sans rien ni personne. C’est là, c’est peut-être moi. Je reprends mon crâne et ma forme habituelle et, en effet, c’est moi. »

C’est toujours un papillon qui parle !

Et si tout ça n’était qu’un phénomène chimique ? Et si tout ça était causé par de simples phéromones ? Je me trompe de terme, je veux dire par de simples hormones ?

L’hormone du bien-être existerait-elle ?

Oui nous raconte Guy MASSAT, Psychanalyste dans son intervention au Café le « Lounge Bar » (1, bd de la Bastille), le jeudi 23 février 2006.

« La souffrance d’origine psychique produit celle du corps et celle de l’esprit. La psychanalyse est la méthode qui permet à chacun de faire parler et de débloquer sa parole inconsciente, de devenir ce que l’on est et d’accoucher rapidement de soi-même en parlant. Tout peut se guérir par la parole et l’interprétation des rêves. Pourquoi j’en suis si sûr ? Le psychanalyste est naturellement autre chose qu’un savant, bien qu’il soit immanquablement aussi un savant, même si c’est à son insu.

« Ma preuve objective c’est que les savants ont découvert qu’en parlant on produit de l’ocytocine. L’ocytocine est une hormone connue depuis longtemps pour favoriser les contractions des parturientes, mais la science vient de découvrir qu’elle est produite par la parole. On savait déjà que la parole produisait des décharges d’adrénaline, la molécule des systèmes nerveux. L’ocytocine, quant à elle, favorise la confiance en soi et la sexualité. Ce serait un puissant antidépresseur, qu’on qualifie maintenant d’hormone du bien-être. L’ocytocine se libère pendant l’amour, elle est sécrétée pendant l’orgasme et... c’est scientifique : par la parole. Voici donc la preuve biologique, matérielle et savante de l’importance de la psychanalyse comme guérison par la parole. » 

Eh bien, les amours d’Aurore nous auront mené loin, mais nous en savons un peu plus sur l’effet (sur un papillon) des phéromones émises par sa capiteuse et séduisante moitié !


Tant que nous y sommes, allons y jusqu’au bout !


Georges Bataille écrit Les Larmes d’Éros, en 1953. Il désigne ainsi l’orgasme dans son roman. : « L’orgasme, en même temps que sentiment de plénitude et de satisfaction, provoque aussi un effondrement du moi, une suspension du manque et du désir, comme la mort qui abolit toutes les tensions de la vie »….

…« Chacun et chacune est donc ici renvoyé à son intimité la plus intime. L’assimilation de l’orgasme à une ‘ petite mort ’ est plus révélatrice qu’il n’y paraît. Il y aurait ainsi, tabou suprême, du plaisir à mourir ? …Possible… »

Pour monsieur Aurore, c’est sûr : une fois transmis à madame le soin de fabriquer une progéniture, il n’aura plus rien à faire du tout qu’à mourir, ayant fait ce pour quoi il était utile : transmettre-ses-gênes-un point-c’est-tout !

Au moment où les idées de Mai 68 sont remises en cause : « Ne travaillez jamais » (Debord), remplacé par « Travaillez plus pour gagner plus », monsieur Aurore ne se sent pas du tout concerné. Le « Faîtes l’amour... » est encore resté pour lui épargné. Car de son domaine privé.

Ouf !


Mais, le privé n’en est pas moins en crise jusqu’au mal-être dont Houellebecq a fait son fond de commerce. « Le sexe a longtemps été tabou, il est aujourd’hui obsessionnel » nous dit, aussi, Fabienne Casta-Rosaz dans son Histoire de la sexualité en Occident. En arrière plan du désarroi exprimé, c’est toujours la même quête existentielle, celle de l’identité et du sens de la vie qui continue d’être posé.


Depuis que l’homme a commencé d’ interroger le ciel et formuler ses interrogations….


C’est pour ça que j’aime bien la mythologie : il y a non pas un Dieu mais des Dieux. Et il y a des Déesses, et leurs enchantements. Ce qui à mon avis manque à ce que Nietzsche, dans une formule célèbre appelait le monotonothéisme, le monothéisme, en effet, comme monotonie et comme répétition de plus en plus mortifère a lui même oublié qui il était.


Heureusement que nous pouvons faire un passage par la Bible, le plus grand des textes occidentaux bien entendu,  mais je crois que la mémoire grecque est tellement en danger qu’il est urgent de relire l’Odyssée. Toujours pour Philippe Solers, « l’Odyssée, c’est la guerre secrète que mène un individu contre tout le monde, aidé qu’il est malgré tout par une déesse qui est Athéna. Et, cette guerre secrète, avec ce secours secret, multiforme, d’une déesse à l’égard d’un mortel m’a paru d’une très grande actualité ou d’une beauté telle, qu’il faut absolument la remettre en lumière. »



Et si Jésus de Nazareth a eu vraiment un enfant
avec Marie Madeleine…

…ne serait-ce pas aussi une bien belle histoire ?