une petite boite Blanchard : Io est au centre à gauche le Vulcain ; à droite la Belle dame il faut trouver les aberrations ! |
Le paon du jour
vanesse des orties
Vanessa Io et les yeux du paon
Io était une jeune prêtresse d'Héra, fille du roi d'Argos Inachos et de Melia. Une nuit elle rêva qu'elle devait se rendre au bord du lac Lerne et y rencontrer Zeus. Ayant raconté son rêve à son père, ce dernier se renseigna auprès des oracles de Delphes et de Dodone mais seul l'oracle de Loxias donna une réponse qui affirmait que la jeune fille devait réaliser ce rêve sinon toute la famille risquait de périr foudroyée.
Elle se rendit sur les bords du lac et y rencontra effectivement Zeus. Est-ce la beauté de la jeune fille ou les enchantements de Iynx, la fille de Pan et d'Echo, toujours est il que le dieu en tomba amoureux et il s'unit à elle.
Mais il fut obligé de la transformer en génisse d'une éclatante blancheur afin que son épouse ne soupçonnât pas son infidélité. Héra, qui n'était pas dupe de la métamorphose de l'animal, demanda à Zeus de la lui offrir. Mais Zeus continua à rencontrer Io en se changeant en taureau. Zeus était coutumier du fait : les jeux sexuels requérant une certaine excitation animalière, il s’était bien transformé en cygne pour séduire Léda. Et encore en taureau pour séduire Europe. Il affectionnait le taureau. Et apparemment cela marchait avec les femmes…transformées ou pas en génisses donc en …futures vaches ! Chacun ses goûts sexuels !
Alors Io fut confiée à la garde d'Argos qui était un parent de la jeune femme.
Argos (ou Argus) avait la particularité d'avoir cent yeux, dont seulement cinquante se fermaient pendant qu'il dormait. Il était doué d'une force prodigieuse qui lui avait permis de délivrer l'Arcadie d'un taureau sauvage (un taureau pas un Dieu. Cela devait être délicat de s’attaquer à un taureau à l’époque, ignorant si c’était un simple bovin ou Zeus maquillé).
Alors Zeus demanda à Hermès d'arracher la prisonnière à son gardien. Argos avait attaché Io à un olivier dans le bois sacré de Mycènes afin de mieux la surveiller. Il existe plusieurs versions de la façon utilisée par Hermès pour tuer Argos. D'après certains auteurs il lança une pierre qui le tua, ou il l'endormit grâce à une flûte de pan ou avec une baguette magique avant de le tuer. Héra rendit honneur au fidèle Argos en transférant ses yeux sur les plumes de son animal préféré, le paon. Délivrée, Io ne jouit pas longtemps de sa liberté : Héra lui envoya un taon. Vengeance classique de femme trompée.
L'insecte, s'attacha à ses flancs, et rendit si furieuse la génisse qu'elle erra pendant des mois à travers toute la Grèce sans jamais s'arrêter. Elle longea le golfe qui devait porter son nom (golfe Ionien) puis passa le Bosphore (ou "passage de la Vache ") et rencontra sur le mont Caucase, Prométhée, qui selon Eschyle, lui prédit un beau destin.
De là, Io gagna l'Egypte, où elle reprit sa forme humaine de belle jeune femme qu’elle était, et enfanta Epaphos dont le nom peut se traduire par "toucher" et futur fondateur de la race nombreuse dont les Danaïdes font partie.
Après avoir récupéré son fils qui avait été enlevé par les Curètes sur l'ordre d'Héra et relâché par Zeus, elle s'installa définitivement en Egypte où on l'identifia alors à la déesse Isis. Après sa mort, elle fut transformée en constellation.
(quel parcours !)
On devine que Io souffrit de ces transformations … en vache ; de ces pérégrinations ; de ces attaques du taon, et de la versatilité de Zeus, toujours à courir derrière des nanas transformées en animaux ! On dit que brisée, mortellement triste, la fugitive gisait sur la rive du Nil, où loin de son ex elle prenait enfin un repos mérité. Et voilà qu’au lever du soleil, vint se poser, amical, sur ses genoux, un papillon nouveau-né, un Paon du Jour. Les pleurs de l’abandonnée ruissellent sur ses ailes, mais il ne bouge pas, attendant qu’elle eut versé sa dernière larme. Et, depuis comme pour perpétuer le souvenir de l’intarissable douleur de Io, les Paons du Jour conservent des traces de larmes sur leurs ailes antérieures.
Les ocelles des ailes postérieures burent elles aussi la tristesse de Io et, dans leurs miroirs bleus, moirés de halos clairs, semble apparaître le reflet du dieu aimé et perdu. Pas mal hein, dans la mélancolie !
Le Paon du Jour nous offre ainsi le surprenant spectacle, sur un fonds rouge-bordeaux, de quatre yeux de paon, quatre yeux embrumés de larmes. Par contre, le revers est comme Antiopa uniformément sombre, de noir vêtu, rendant une fois encore le papillon invisible quand il se pose sur un support. Ce qui est le cas dans les maisons de campagne en automne, quand il rentre pour passer l’hiver à l’abri, pour hiverner. Il nous est souvent arrivés de passer l’hiver avec lui, dans notre ferme du Gers, et de prendre cette co-habitation comme un présage heureux. Il se réveille alors au printemps, convolant en justes noces pour jouer aux jeux de Zeus et de Io, et se reproduire.
La femelle pond sur l’ortie, des œufs en grand nombre. Du coup, si l’on inspecte les champs d’ortie au bon moment, on peut tomber sur une colonie de chenilles, noires et hérissées de piquants factices, impressionnantes par leur nombre.
C’est le bonheur qui est arrivé à l’auteur en juillet 2008 : visitant une fois encore la villa romaine de Valentine près de Saint-Gaudens, et rendant hommage à son propriétaire Nymfius, grand amateur d’huîtres d’Arcachon qu’il conservait au frais dans la neige des Pyrénées toutes proches, et grand amateur aussi de bains chauds (on dirait aujourd’hui spa et jacuzzi) qu’il prenait avec Séréna, (pour qu’elle lui gratte le dos, voir infra) car après tout il n’y a pas de mal à se faire du bien. L’épitaphe mortuaire que lui a dédiée la dite épouse, (il est mort avant elle, et nous avons raconté plus haut comment les vieux dignitaires italiens se comportaient avec les jeunes filles), décrit ses mérites naturellement, et lui souhaite la vie éternelle, ce qui fait penser qu’elle était chrétienne. Rien de comparable à Io apparemment. Allez la voir (l’épitaphe), elle est exposée au musée Saint-Raymond de Toulouse. Bref, je quitte le groupe des visiteurs attentifs, et regarde le buisson d’orties pas loin de l’entrée. Il y a toujours quelque chose à voir sur les orties. Aussi bien on ne voit plus grand chose de la villa, les plaques de marbre de la piscine ayant été volées depuis deux mille ans pour en faire des opus incertum ; et les colonnes venues à grand peine de Saint-Béat sur des barges empruntant la Garonne , ont été prises pour les transformer en rouleaux agricoles. Ce qui est amusant, c’est que l’eau alimentant la piscine qui arrosait en passant le jardin de l’entrée vient par un canal en marbre de Labarthe-Rivière située à quelques centaines de mètres, où l’on voit encore les sources thermales d’époque.
Dans les orties qui sait si on ne va pas tomber sur une chenille d’une autre vanesse, comme le Vulcain qui est un cousin de Io. Nous en parlerons tout à l’heure.
Eh bien oui : bingo ! une centaine de chenilles de moyenne taille, à mi croissance !
Je reviens le soir avec une cage vide, les visiteurs partis, j’aurais eu bonne mine de prendre la colonie sur place, on aurait pu croire que je m’adonnais à l’esclavage de chenilles ou quelque chose de pire !
Et c’et là que recommence l’astreinte : couper des orties fraîches presque chaque jour (or les orties piquent). Y déposer les chenilles ; enlever les crottes pour éviter les maladies ; et recommencer. J’ai un motif : des petits-enfants, dont les jeux video montrent rarement la vie dans la nature, et qui attendent avec intérêt la future transformation. J’ai un prétexte : le sculpteur André Abbal a sculpté face à notre villa (appelée Apollo vous comprenez pourquoi) « la Montagne », qui représente Europe juchée (langoureusement il faut bien le dire) sur un taureau (nous on sait que c’est Zeus). Alors c’est l’occasion d’expliquer Io in situ comprenez-vous, et les frasques de Zeus. Et les légendes sur le personnage de Pyrène (Πυρήνη), fille du roi Bebryx. Elle aurait donné son nom aux Pyrénées que l’on voit en face, avec les « trois mille » au-dessus de Luchon. Ce sont trois sommets qui dépassent trois mille mètres. Selon Silius Italicus, la jeune fille fut aimée d'Héraclès qui la délaissa. Toujours versatiles, les mecs ! Elle donna naissance à un serpent et alla enfouir sa honte dans les forêts où elle fut dévorée par les bêtes sauvages. Bon.
Arrive le moment fascinant où toute la colonie, pratiquement dans l’heure, monte, toutes chenilles au plafond de la cage ; tous tête en bas. Dépouille de la dernière peau qui tombe en boule piquante au sol, et se transforme en armée de chrysalides pendues côte-à-côte au plafond .
Il suffit d’attendre.
Quelques jours après, une première sortie d’imago. Téléphone portable aux petits-enfants : il faut venir ; appareils photos numériques, en position petit-film animé. Seconde sortie, troisième, tous les papillons sortent à la fois. Il y a plein d’yeux sur fond velours cramoisi dans la cage. Ca ouvre et ferme les ailes, ça s’impatiente : « on veut se casser » !
-« Qu’est-ce qu’on fait les enfants ? »
-« on ouvre la cage » !
c’est comme la cage aux oiseaux de Perret, avec des papillons !
Et toute la colonie sort, en vol, tous à la fois comme un micro-nuage. En une minute tout le monde a filé, laissant la cage vide, plafond plein de chrysalides vides ; les mues par terre, et la fameuse petite pluie de sang.
Un élevage réussi, et mes orties préférées valorisées.
Des gosses qui réfléchissent :
- « Babo, dis-nous : Ils ont une conscience, les papillons ? »
-
Pas facile de répondre ? On pourrait dire que non, seuls les êtres humains en ayant une, ce qui les distingue des animaux…
Mais est-ce toujours si sûr ?
C’est sympa d’élever les papillons !