vendredi 7 janvier 2011

voyage à Delphes

vous avez vu ? elle lui mange dans la main !
Nous allons faire un tour compliqué (comme d'habitude) qui va nous emmener à Bordeaux, chez Thérèse et José. Et puis à Paris, incontournable, tellement longtemps que nous ne sommes pas allés aux Puces. Nous sommes en février 2008, trois ans déjà, et ce voyage a été conçu pour que je puisse faire un tour à Rétromobile ! et puis on filera à Delphes, mais cette fois-ci nous sommes à Pâques, bien des années auparavant, nous voyageons dans le temps, et dans l'espace. Notre fil conducteur, c'est un Apollon, c'est Archon, vous allez comprendre, accrochez-vous !

Anne se méfie des mantes : elle préfère rester en retrait !
chez un Maître-verrier de Bordeaux


Arrivée à Paris. Je vous ai déjà parlé des globes à Papillons
le mien est aussi bien non 


Et je tombe sur quelques boites de toute beauté. Mais que fait-elle donc là celle-là ?
Combien y en a-t-il donc
d'Archon apollinus ?



Cette boite est une "petite-boite-Blanchard" en noyer du Lot. Je reviens maintenant à ma collection. Je l'ai agrandie pour qu'elle ait l'air d'une grande, comme le disait la pub de la Clio. Elle rassemble tous les Papilio de la partie nord de la Méditerranée. Je vous ai déjà parlé de Machaon, et aussi d'Alexanor : Vous les reconnaissez ? A DROITE ! Dessous (à droite) il y a un beau ténébreux : Hospiton, qu'on ne trouve au monde qu'en Corse et en Sardaigne ! Et puis plus bas le frère de Machaon, Podalirius. A gauche, il y a les Thaïs, qui m'ont fait séjourner en Arles. Dessous, je vous ai déjà parlé d'Apollo, et vous voyez en bas à sa droite le semi-Apollon qui vit dans les Alpes mais pas dans les Pyrénées. C'est un peu vexant pour nous... Et à gauche, entre les Thaïs et Apollo, il y avait un chaînon manquant : c'est Archon apollinus, vous le reconnaissez maintenant ? 

Il va falloir voyager un peu pour aller le chercher. Mais ce voyage en vaut la peine !

Archon Apollinus,
et l’oracle de Delphes


L’autre jour (cela se passe pendant le règne actuel « de sarkosie »), le célèbre publicitaire Georges Ségala « (la force tranquille » des années Mitterrand ), affirmait au bon peuple de France que celui qui à cinquante ans n’a encore pu s’acheter de Rollex a bel et bien raté sa vie !

Voilà bien claironné l’objectif dérisoire d’une existence typiquement « bling-bling », comme s’il n’existait pas de montres plus belles que les Rollex d’ailleurs ! Mais si on se contente de l’heure gratuite affichée par le téléphone portable, qui nous permet de surcroît de photographier et naturellement de téléphoner, je vous assure qu’on peut fort bien se passer de Rollex.

Par contre… peut-on se passer d’avoir vu Delphes, le sanctuaire d’Apollon ?

   Alors là, non !

Je vous explique le paysage : Delphes est accrochée au flanc abrupt des contreforts méridionaux du Parnasse, qui domine la Grèce centrale de ses 2459 mètres d'altitude. Surplombé par de hautes falaises rougeoyantes, les Phédriades, séparées par une gorge au pied de laquelle jaillit la source Castalie, le site domine la vallée encaissée du fleuve Pleistos. Celui-ci débouche sur une plaine côtière couverte d'oliviers, domaine d'Apollon. Invisible de la mer pourtant toute proche, Delphes est un site de montagne au climat très contrasté. Quand nous accostons depuis le bateau, nous rejoignons le chemin gravillonné avec la bande d’herbe centrale, même pas de goudron, qui longe la baie d’Itéa. Le maquis méditerranéen est bas, de loin les taillis forment des boules régulières. En face, deux îles, et la montagne, qui fume de nuages. On arrive, à pied, au site de Delphes sous la brume, en escaladant la montagne escarpée, escarpée de terrasses.  Tout de suite apparaît le Tholos circulaire, dédié à la déesse Gaia mère de la terre, avec ses trois colonnes doriques encore intactes au centre de la Marmania.

Pour les Grecs, Delphes était le centre géographique du monde : pour le vérifier, Zeus avait dépêché deux aigles depuis les bords opposés du disque terrestre, l’un au levant ; l’autre au couchant. Ils s’étaient rejoints au centre de Delphes, pile au milieu de la terre où ils avaient lâché une pierre sacrée, marquant ainsi le centre, le nombril du monde. 

Ainsi le nombril (omphalos) terrestre  est représenté dans la fosse oraculaire (adyton) du temple d'Apollon sous la forme d'une masse ogivale, couverte d'un réseau de laine (agrènon) et surmontée de deux aigles. Quand on le voit aujourd’hui, on dirait un obus de pierre. Les mauvais esprits pensent aussitôt à un phallus, surtout quand ils entendent la prononciation grecque, mais apparemment ça n’est pas du tout ça…Zeus faisant très attention au sien  ne l’aurait pas exposé ainsi à la vue de tous. Dans l'adyton du temple voisinaient la tombe de Dionysos et le trépied sur lequel la Pythie, prophétesse d'Apollon, signifiait aux mortels les conseils du dieu. Il faut dire qu’elle recevait dans le nez les vapeurs sans doute soufrées s’échappant d’une crevasse, ce qui l’étourdissait quelque peu. Elle murmurait des propos incompréhensibles, sachant qu’elle parlait un grec très ancien, et que les prêtes traducteurs devaient de temps à autre en rajouter de leur propre cru. Les interprètes font toujours ça voilà pourquoi il faut parler soi-même les langues étrangères ! Ces conseils portaient souvent sur des projets de voyages ou d'expéditions outre-mer. En particulier, il était de rigueur pour un individu comme pour une cité entière de consulter l'oracle avant de procéder à la fondation d'une colonie. Au fil des temps Delphes devint ainsi le véritable centre de coordination pour l'expansion coloniale (grecque).

Vers la fin du VIIe siècle, (attention nous sommes avant Jésus-christ) Athéna, sur la terrasse de la Marmaria à Delphes, reçut en hommage un des premiers temples doriques. Le Tholos est un péristyle, avec 6 colonnes en façade et 12 sur les côtés. La cella est précédée d'un pronaos avec deux colonnes à l’entrée. Les colonnes en pierre, les plus anciennes connues de l'ordre dorique, sont très élancées et décorées de seize cannelures; leur hauteur (3,45m) est égale à six diamètres et demi (H=6,5 D), proportion qui ne se trouvera qu'au IVe siècle.

Quand on monte au sanctuaire d’Apollon, on trouve à gauche le petit temple du « trésor des Athéniens », à droite les colonnes du temple d’Apollon, et plus haut le théâtre creusé à flanc de montagne, qui jouit d’une vue extraordinaire sur la mer. La vue est rythmée par les quenouilles des cyprès. On approche du « trésor de Marseille », qui recueillait les offres des pèlerins car l’oracle naturellement était payant comme la fontaine de Trévise à Rome.

Il suffit de s’éloigner un peu, de sauter le mur de pierres sèches qui supporte la dernière terrasse, et on se trouve dans la nature vierge, même si les roches Phréaides sont classées au Patrimoine de l’Humanité et que tout ici est un peu solennel. L’ambiance végétale ressemble assez à celle de la Corse : plein de plantes odorantes, et une ambiance de maquis.

Bien sûr il y a plein de lauriers. Des arbustes pouvant atteindre six ou sept mètres de hauteur. Leur feuillage est persistant et ce sont les feuilles que l’on utilise pour aromatiser les sauces.

Le  nom latin du laurier est Laurus nobilis. On le désigne aussi sous le vocable de laurier d’Apollon… Nous y revoilà !  Parce que, poursuivie par les assiduités du dieu, (c’était décidément une manie) la nymphe Daphné (en grec le mot signifie laurier) ne dut son salut qu’à sa transformation en laurier.


La Pythie qui officiait à Delphes s’avançait vers ses clients en mâchouillant des feuilles de laurier. Le Guide du Routard prétend que c’est là l’origine du dicton « La Pythie vient en mangeant »…je sais, c’est assez lamentable, mais c’est ce que la télé nomme « l’humour contemporain » !
 
En occitan c’est lo laurièr mais on voit aussi écrit laurèr et laurèl. Bellibaste, le dernier Parfait cathare (un Parfait très imparfait), brûlé à Villerouge-Termenès en 1321, avait prédit « Al cap de sèt cent ans, verdejera lo laurèl » (Au bout de sept cent ans, le laurier reverdira). Une citation que rappelle le remarquable site Internet du Club-Cathares.


La chapelle de Montalaurou, sur la commune de Pailhès, doit son nom au fait qu’elle est construite sur un sommet où poussaient des lauriers.



Comme l’avocatier, le camphrier, le cannelier… le laurier appartient à la famille des Lauracées. Une famille nombreuse qui comprend 45 genres et près de 1 100 espèces

On sait qu’une couronne de lauriers récompensait les vainqueurs d’une compétition sportive ou d’une bataille. Un lauréat est celui qui réussit un examen et le mot baccalauréat signifie «baie de laurier ». Celle-là vous ne vous y attendiez pas !



Non, non, on ne remplit pas les paillasses de feuilles de lauriers pour se coucher. S’endormir sur ses lauriers a une toute autre signification, certains d’ailleurs s’endormant sur des lauriers-roses, lesquels ne sont au demeurant pas des membres de la famille… des Lauracées !


Ah, je ne résiste pas au désir de rappeler ce qu’on disait d’une fille qui se mariait enceinte : «Elle a fêté Pâques avant les Rameaux» ! Avec les moyens actuels de contraception c’est évidemment tombé en désuétude.

Pour le chasseur de papillons, surtout s’il voyage loin de ses bases, le laurier est absolument indispensable : pour fabriquer une boite de Newman, il suffit en effet de disposer d’un bocal en verre fermant avec une capsule de fer à vis. Un ex bocal en verre de pâté Henaff par exemple si on est breton. Dedans, on entoure la paroi de feuilles de papier journal qui absorberont l’excès d’humidité. Dans le cylindre ainsi créé, des feuilles de laurier coupées au ciseau produiront l’humidité propice au maintien souple des articulations de nos insectes. Sinon, impossible de les étaler sur l’étaloir comme nous l’expliquerons plus bas ! Comme tout ce milieu humide pourrait favoriser l’apparition de moisissures, on glisse dans le laurier une boule de paradichlorobenzène autrement dit de naphtaline. Vous voyez qu’un voyage à Delphes se prépare, même si l’essentiel, le laurier, se trouve sur place. Détail montrant l'authenticité de mes propos. Je parle bien d'un temps comme aurait chanté Ferrat, d'un temps où existait encore le paradichlorobenzène. Ce temps a été éradiqué par l'Europe qui trouvait cette molécule dangereuse, et je vous défie de trouver mes célèbres boules aujourd'hui.

Vous devinez le groupe qui écoute la guide, raconter les histoires d’Apollon et mesurer le diamètre des colonnes doriques. Vous devinez l’auteur qui en a un peu marre, et fasciné par la végétation ne cesse de repérer les plantes. En fait, le dit auteur vous a déjà raconté ses histoires d’aristoloches et de Thaïs, et se demande pourquoi il n’y aurait pas d’aristoloches justement dans cet endroit préservé. Car là où vit la plante, peut-être vit aussi le papillon ? (Je vérifie si vous avez lu attentivement ce qui précède).

Il suffirait en effet que pousse ici A.poecilantha, A. parviflora, A. bodamae, A. hirta, A. bottae, A. auricularia, A. rotunda, A. sempervirens bref de l’aristoloche tout bonnement.

Nous sommes en avril 1974, et nous avons réussi à trouver un avion pour la Grèce pendant les vacances de Pâques. Période de vol des Thaïs ! Je tombe sur une touffe de clematis, que je reconnais pour ressembler aux nôtres des digues du Rhône à Arles. Je retourne les feuilles. Rien. D’autres touffes sont proches. Et un grand coup au cœur : trois œufs, de petites billes nacrées. Des Thaïs ! Sans doute vont-elles être spécifiques, singulières, déviantes même ! Dans un lieu pareil ! Et c’est commode les œufs, je jette le laurier, puisque je ne vois pas de papillons, et entasse les feuilles fraîches et leurs œufs collés dessus. Nous repartons pour Paris dans deux jours. Puis Marseille. Puis Arles. Il suffit de cacher et d’emmener ce « trésor des Marseillais »…. !

Retour à Marseille-Marignanne. La douane à l’époque (nous sommes toujours avant 1976) est plus facile à passer qu’aujourd’hui. Retour à Arles. Nous sommes dans le monde connu des romains. C’est pas mal non plus, et en se baladant en ville, on voit plein de colonnes doriques aussi, notamment « place aux hommes », qui est la place du Forum. On l’appelle Place aux Hommes car le jour du marché, les hommes viennent en ville pour échanger des agneaux contre du saucisson d’âne par exemple, et passent des heures à bavasser.

Les œufs éclosent. Il suffit d’aller deux à trois fois par semaine sur les digues du Rhône, pour ramener la nourriture fraiche, de l’aristoloche semblable à celle de Delphes, conservée les pieds dans l’eau d’un bocal. Les petites chenilles éclosent, et muent. Ca ne ressemble pas, mais pas du tout, ni à hipsypile qui est un peu grise avec deux rangées de faux piquants, et des protubérances jaunes. Encore moins à rumina carrément jaune citron. Non, c’est noir et marron, avec de violents petits points rouges placés selon deux lignes longitudinales. Mais qu’est-ce ? La chenille en fin de cycle s’enroule dans un petit cocon de soie lâche, comme le ferait une chenille d’Apollon d’ailleurs. Et passe l’hiver 1974 comme ça ! Frustrant !

Printemps 1975, le premier mâle éclot, toujours les mâles les premiers. Surprise, surprise, et joie extrême : c’est Archon apollinus, le « faux Apollon » ! Il m’en sort une douzaine ! Bien mieux que n’importe quel Thaïs !

La Pythie avait bien un secret : c’est cet espèce d’Apollon charmant, qui n’en est pas un, dont nous avions trouvé les œufs grâce à l’oracle ! Ca ressemble à un Apollon parce que les ailes sont transparentes, et le deviennent de plus en plus quand le papillon vieillit. Ca a un petit air de Thaïs quand-même. Et puis la chenille se nourrit de cette plante, et pas de saxifrages. Le corps est poilu comme un Apollon (sans jeu de mots !). Une suffusion de rouge peut envahir les ailes postérieures des femelles.


La première description date de 1789 par Herbst. With a wingspan of 4.5 – 5.5 cm the False Apollo is a small member of the family PAPILIONIDAE. D'une envergure de 4,5 - 5,5 cm notre Apollon qui-n’en-est-pas-un est évidemment un Papilio (la fameuse nervure qui manque). Est-ce Herbst qui le nomme Archon ? Archon apollinus ? Ma foi, ce nom et ce prénom ne manquent pas d’à propos !

A Athènes, il y avait neuf archontes (Arkhon = souverain, régent, commandant) dans la constitution classique. Six were judges, the Thesmothetae. Six étaient des juges, le thesmothètes. The other three were the Polemarch ( polémarkhos , "war leader," the third archon), who was the commander-in-chief, the King ( basileús , the second archon), who succeeded to the religious duties of the original Kings of Athens, and the Eponymous ( epónymos ) Archon , the first archon, after whom the year was named. Les trois autres étaient du moins gradé au plus gradé : Polémarque (polémarkhos, "chef de guerre», qui était le commandant en chef ; ensuite  le Roi d’Athènes en numéro deux, et l'éponyme (epónymos) Archon, l'archonte premier, le top, qui donnait son nom à  l'année au cours de laquelle il avait été nommé. Le roi des rois en quelque sorte.
Pour vous donner une idée, un des Archon est Séleucos Premier, l’un des généraux d’Alexandre le Grand. Un autre est Themistokles, Archon en 493, etc…

 

Et nous, avons affaire à l’Archon d’Apollon, vous voyez maintenant la référence !

No Greeks, or anyone else at the time, used a continuous Era in dating..


Voilà, quand vous faites une croisière, ne manquez jamais de regarder attentivement la végétation : vous risquez fort d’être le seul à le faire ! Et comme vous serez le seul, vous risquez de voir des choses invisibles pour les autres : des feuilles faciles à ramener dans un herbier sommaire. Des œufs pourquoi pas ? Et même les petites chenilles qui sont dessus bien qu’il soit  plus difficile de les glisser dans une poche !

Quand on fait le tour de la méditerranée, on voit tous les Papilio possibles. On a déjà nommé Machaon ; Podalirius son frère. Alexanor. Les deux Thaïs et il y en a quelques autres. Apollo et il en existe bien d’autres également. On n’a pas encore parlé d’Hospiton mais nous y reviendrons. Il existe les types, mais aussi les variantes que provoque la latitude : plus on va vers le sud, plus les couleurs sont souvent plus vives. C’est comme ça que le collectionneur n’est jamais vraiment satisfait, et veut toujours trouver des nouveautés.

C’est pour cela qu’il ne tient pas en place, et qu’après Delphes, il faut qu’il parte ailleurs, pourquoi pas en Israël ?


Il y vit une forme d’Archon Apollinus qui s’appelle Bellargus, et a des couleurs fantastiques !