Le montagnard de Saint-Véran
Je le reconnais bien volontiers : je ne vous raconte que les histoires des papillons que j’ai aimés, et ceux-là, soit ils m’ont intéressé par leur esthétique et leurs mœurs. Soit parce qu’ils étaient rares et que leur découverte représentait un challenge pour le chercheur que je suis : résoudre l’énigme transposée de Lavoisier inventant Neptune, c’est ça qui m’excite, comme découvrir euphenoides grâce à la carte géologique. Ou bien découvrir le cousin de…., qui ressemble au papillon courant, mais présente des différences morphologiques sensibles et vit ailleurs et autrement, c’est ça qui est amusant. Relier géologie ; sol ; végétation ; altitude ; chenille et adulte, obéit à un processus complet et transversal, dont je ne me lasse jamais.
Je vous ai parlé de mes chasses dans les causses du Lot, dans les bouquets de Dorycnium à la recherche des zygènes. Mais quand on passe du temps dans ce genre de biotope, on observe des tas d’autres bestioles sympa. On trouve des larves de cigales d’où sont sorties les adultes qui vous piaillent dans les oreilles ; des libellules ; des sauterelles et criquets ; des hyménoptères chasseurs à l’apparence terrifiante. Et bien d’autres papillons.
Par exemple la Mélitée orangée : c’est un petit papillon adorable, qui tout frais brille d’un orange vif au printemps dans l’ambiance vert-cendré des boules fleuries de Dorycnium. La femelle est très différente du mâle, et ils sont très esthétiques tous les deux. Leur nom vulgaire est : damier, damier de … la plante nourricière, parce que sans doute mêlées au taches comparables aux yeux des argus, leurs couleurs présentent des plages orangées cernées d’un trait noir pour bien les faire remarquer, qui font penser à un jeu de dames, avec les pions dessus. Les différences dans les cases, leurs couleurs, les traits qui les cernent, les pions dans les cases, sont innombrables, et le collectionneur ne se lasse jamais d’identifier telle ou telle espèce ce qui s’avère extrêmement difficile, si l’on veut donner son bon nom au papillon qu’on vient de repérer. Ceci explique l’utilité des élevages, car si deux adultes se ressemblent, ils se peut fort bien que leurs chenilles les départagent par leurs différences.
Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Nous ne sommes absolument pas, dans la famille, adeptes des sports d’hiver : l’hiver la neige recouvre toute végétation en montagne, et il faut vraiment être fana de sports de glisse pour se joindre à la foule des parisiens venant s’éclater dans les stations à la mode. Là où nous habitons maintenant, ce n’est pas pareil : en une demi-heure, nous allons au Mourtis, parce que c’est une station familiale, et qu’on peut y faire de grandes ballades en raquettes. Par contre, l’été la montagne est couverte de fleurs, la brièveté de la saison étant compensée par la profusion de la vie animale, végétaux et insectes inclus. La montagne a toujours été une zone de protection pour les espèces, soit que l’homme y soit contraint par la pente à des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement, en pratiquant de manière extensive le pâturage sur des zones collectives, où la rusticité des pratiques interdit l’usage de molécules chimiques favorisant en plaine les cultures intensives.
Alors de Montauban, nous avions l’habitude de rejoindre Ax-les-Thermes, pour y faire du camping, en choisissant le mois de juin quand les enfants n’étaient pas contraints par le rythme scolaire, à temps pour être là juste à la sortie d’Apollo.
Et depuis Arles nous allions dans les Alpes, à Guillestre, en camping là aussi. Nous avions remorque basse, tente, réchauds matelas et duvets, le confort dans la nature. De cette manière il était possible de conduire les recherches des chenilles d’Isabelle. Et comme le résultat était constamment négatif comme disent les militaires, de se promener et de rechercher bien autre chose.
Y compris de faire du tourisme, de monter dans les glaciers, de découvrir la Vallouise et Saint-Véran, le plus haut village d’Europe.
On peut toujours visiter les chalets sur place, et imaginer la vie des habitants de ces endroits bloqués par la neige tout l’hiver ! Leur chalet était écologique, durable et tutti quanti davantage encore que tout ce qu’on peut promouvoir aujourd’hui, si l’on pense que l’isolation de la maison était constituée par le foin dont elle était complètement entourée. Le foin constituant aussi la nourriture des animaux confinés à l’intérieur. Pendant l’hiver, les animaux mangent l’isolation rendue inexistante quand le beau temps la rend inutile. Tout ça sans aucune énergie fossile ! (sauf les bougies…) . Remarquez qu’aujourd’hui, il y a des ruraux qui commencent à construire des maisons isolées avec des bottes de paille !
A l’intérieur de cette enceinte close et étanche vivaient comme dans l’arche de Noé deux frères, tellement sous alimentés et manquant de vitamines qu’ils mesuraient à peine un mètre soixante, et couchaient dans le même lit, pour se réchauffer. Le lait leur était fourni par les vaches qui leur donnaient leur chaleur, en logeant juste à côté. La compagnie, c’était celle de l’âne qui servait l’été à remonter les balles de foin. Il y avait chien et chat. Et les poules au milieu de cette société mixte fournissaient les œufs. Pas d’électricité, des bougies. Pas de télé. L’almanach de la Manufacture de Saint-Etienne comme seule lecture. Pas d’horloge : un cadran solaire. Et dans le cas présent, pas de femme, pas la moindre Grâce ni déesse, pour vous dérider et encore moins transmettre une quelconque descendance.
C’est peut-être à cause de cette vie terrible que nous préférons la montagne l’été !
Après avoir visité Saint-Véran, nous montions à 2360 mètres à la chapelle de Clausis.
C’est une ballade très agréable au sein du Queyras, dans les Hautes-Alpes.
Il est probable que ce nom ne vous dise pas grand-chose, tant le Queyras reste indissociable de cols parmi les plus franchis dans les Alpes, comme le Col d'Izoard et la fameuse Casse Déserte, et, dans une moindre mesure, le Col d'Agnel, frontalier avec l'Italie.
Au départ de Guillestre, où nous avions notre camp de base, une petite route correctement revêtue remonte doucement le torrent du Guil pour se diriger vers la combe du Queyras. Après plusieurs petits tunnels assez étroits, la route passe au fond d'une gorge dont les parois rocheuses qui l'encadre paraissent infranchissables. Se succèdent ensuite plusieurs kilomètres de pentes modérées, alternants petits faux-plats montants et descendants (mais majoritairement montants…), et nous voici à Château-Queyras, immédiatement reconnaissable grâce au Fort perché sur son éperon rocheux. Ce Fort très ancien existe depuis 1265, et a joué un rôle majeur pour la défense de la combe du Guil. En effet, plus de 3.000 soldats pouvaient se masser à l'intérieur. Au cours de certaines périodes, il a également été utilisé comme prison. Continuer ensuite la route vers Ville-Vieille, en direction de Molines, puis de Saint-Véran, à 2050 mètres . A la sortie de Saint-Véran, les 6 kilomètres restant alors se font sur une mauvaise route, où là encore le goudron a laissé la place aux cailloux.
Le vallon, parallèle à celui menant au Col d'Agnel, présente de jolies vues tout au long de la fin de la montée : cîme de la Combe Crose , Pic de Château Renard.
Après un virage, on découvre un cirque de grande beauté, avec au premier plan un petit promontoire sur lequel se trouve la Chapelle. Encore quelques efforts, et nous voici à 2360 mètres d'altitude !
Les amateurs de randonnée pédestre continuent d’habitude plein Est jusqu'au Col de Saint-Véran pour admirer le Mont Viso, tandis que ceux montés à VTT pourront redescendre sur Saint-Véran en suivant le GR 58 par le fond de la vallée, avant une longue descente pour revenir à Guillestre.
Nous, nous étions arrivés. Partout de l’herbe rase, une pelouse. Et en marchant lentement comme le chercheur de coques sur une plage bretonne, il suffisait de se baisser pour ramasser les chenilles de Euphydrias Cynthia, le cousin montagnard de la Mélitée orangée du Lot.
Je l’avais, le cousin. Sa chenille pleine de piquants noirs, de faux piquants seulement pour faire peur je vous rassure, a des bandes jaunes, sans doute une allusion au Tour de France. Elle est vite rassasiée et mener un élevage sur place avec les alchémilles qui constituent la pelouse, ou plus aisément encore avec du plantain est facile. La petite chrysalide se transforme comme ça, sans façons, par terre. Et naît dans la foulée l’imago, la femelle orangée ressemblant en plus transparent à la cousine terrienne, celle qui vit dans la plaine.
Mais Monsieur, qui est guide de Montagne sans aucun doute, arbore une tenue camouflée-glacier, avec de belles plages de neige bien blanche pour bien montrer sa vie en altitude. C’est un montagnard magnifique !
Il y a comme cela plein de superbes papillons dans la montagne ; et ce ne sont pas forcément les mêmes que l’on trouve dans les Pyrénées, et dans les Alpes. Par exemple, le semi-Apollo, autrement dit Phoebus, dont la chenille vit sur les saxifrages, est absent des Pyrénées. C’est fort ennuyeux et nous oblige à parcourir des centaines de kilomètres pour faire sa connaissance !
Ah j’oubliais : pour les anglais, notre papillon c’est : Cynthia's Fritillary. Fritillary étant le damier comme chez nous.
Aurai-je jamais terminé ? Le plus beau des damiers, pour mon Maître, était desfontainii, le damier espagnol. C’est un méditerranéen, il a les couleurs les plus vives, et s’il est espagnol, il vit également à Perpignan, et est connu des Pyrénées Orientales. Comme le sont les catalans, il ne fait donc pas la différence entre les deux côtés de la frontière. Je l’ai donc cherché sans relâche, sans jamais le rencontrer tellement les stations où il vit sont limitées dans l’espace. Sa chenille mange Knautia arvensis. Vous allez me dire que vous n’en avez jamais entendu parler ?
Eh bien moi non plus !
On ne peut tout avoir !
Et encore moins tout savoir !