elle se prend pour une feuille !
petite boite de nocturnes |
Quand on commence une collection de papillons, on est souvent attiré par leurs formes curieuses. Devenant caméléons, ils s’essaient à ressembler aux végétaux. Les phasmes sont champions dans ces exercices de mimétisme, ainsi que plein d’autres insectes comme les mantes-feuilles. Un papillon célèbre de Madagascar est Kallima inachus qui, refermé, ressemble tellement à une feuille d’automne qu’on distingue parfaitement la nervure centrale au milieu de ce que l’on croirait une feuille avec sa forme pointue et ses couleurs, rendant l’insecte immobile parfaitement invisible puisqu’il a la précaution supplémentaire de se poser pile où il manquait une feuille sur une branche de la bonne espèce végétale qui plus est.
Notre faune possède de semblables phénomènes, et je vais vous parler du plus célèbre d’entre eux, puisque le grand architecte de l’univers, pour se détendre, s’est aussi exercé à un mimétisme approfondi entre deux séances où il peignait des yeux.
Il s’agit de Gastropacha quercifolia, littéralement le "ventre épais de la feuille de chêne". Pas de référence mythologique pour cette fois, ce qui est dommage car on aurait pu facilement trouver des ancêtre grecs à ce mime ! Un rôle de composition rempli avec un costume d’une absolue perfection ! Un mime quoi, comme le mime Marceau, mais il n’est pas assez âgé pour constituer une référence.
Chez les Anciens, on a donné le nom de Mime (du grec miméomai = imiter, mimer), à une composition dramatique, populaire en Grèce, consistant surtout dans l'imitation de certains personnages ou de certains caractères. Comme les « Guignols de l’info » aujourd’hui sur Canal + ! Le mime se distingue de la comédie par l'absence de chœur et de scenario, et s’exprime à l’origine en prose, plus tard en vers. Le plus illustre auteur de mimes est Sophron. On aurait donc pu proposer comme nom de notre papillon :
Nassiet 2009 (il faut absolument que le nom de l’auteur figure en bonne place, comme l’a fait Linné, après lui Cousteau). Ca donne donc : Sophron querci Nassiet 2009. (le Sophron du chêne). Ca sonne pas mal n’est-ce pas ? J’ai enfin donné mon nom à un papillon ! Je serai un entomologiste immortel !
Le mot existe en grec : Mimas. A-t-il été utilisé pour nommer un papillon mimant la nature ? Oui en effet, et une seule fois ce qui est surprenant. Et c’est notre incontournable Linné qui l’a utilisé, pendant l’année 1758, une année chaude, car il n’a cessé d’ajouter des noms sur ses interminables listes au cours de cette fameuse année. C’est Mimas tiliae, « qui mime le peuplier ». Nous en reparlerons une autre fois, car non seulement le papillon adulte qui est un sphinx a pris les couleurs des feuilles, mais surtout sa chenille, la célèbre chenille qui donne son nom aux sphinx, a dessiné sur son corps les fines nervures qui la font totalement disparaître solidement campée sur sa feuille de tilleul.
Si le mimétisme est censé leurrer le prédateur, il peut aussi abuser le descripteur. Linné surmené par l’énormité de son inventaire a pour une fois bâclé ses effets habituels : pourquoi avoir nommé son papillon la "Feuille morte du chêne", alors que la bestiole vit en plein été, autrement dit à une période où les ramures sont d’un beau vert ....et où l'acajou de sa parure d’automne se voit comme le nez au milieu de la figure ! Il arrive donc que ce soit uniquement dans la boite du collectionneur ou sur une photo-montage que soient mis ensemble de véritables feuilles de chêne couleurs d’automne, et un papillon qui se croit en automne alors qu’on est l’été.
La "Feuille morte du chêne" est un assez grand et volumineux papillon, les femelles (qui ont le corps d’un gros porteur d’Airbus pour transporter leurs oeufs) pouvant atteindre une envergure de 90 mm . Ce papillon relève de la Famille des Lasiocampidae, représentée en France par une petite trentaine d'espèces. On le trouve dans la quasi totalité de l'Europe, et le plus souvent il n'a qu'une génération annuelle, deux étant toutefois possibles dans les régions les plus méridionales de son aire.
L'espèce occupe tout l' "Hexagone", et les adultes apparaissent pour l'essentiel en juillet-août. Ils aiment les arbres fruitiers, Pruniers et Pommiers, mais ne sont pas difficiles en acceptant Prunellier, Aubépine, Saules, Chênes, et Noisetiers. Ils sont donc courants dans le Tarn et Garonne où se passent nos observations.
L'incubation est rapide, de l'ordre de 10 à 15 jours, et la jeune chenille se met à table aussitôt, afin de ne pas perdre une miette de temps disponible pour emmagasiner les forces et réserves qui lui seront très vite nécessaires. En effet, contrairement aux espèces dont nous avons parlé jusqu’ici, qui hivernent à l'état d’œuf, de chrysalide, ou de cocon, notre "Feuille morte" va devoir affronter les frimas hivernaux sous forme de chenille de surcroît très jeune, puisqu'elle mesurera à peine 2 cm , pour un diamètre excédant de peu la section d'une allumette.
Avec l'automne bien avancé, et le jaunissement des feuilles nourricières, les chenilles vont descendre au pied des arbres pour trouver refuge à terre, dans les feuilles mortes par exemple. C’est là que l’adulte ultérieur a du prendre l’envie de se prendre pour une feuille morte ! Elles peuvent également hiverner en s'amarrant tout simplement aux branches, branchettes, ou rameaux. On pourrait même presque dire qu'elles s'y incrustent tant elles s'y plaquent et épousent étroitement le substrat, en tissant une nappe d'accrochage soyeuse.
Avec le renouveau du printemps, caractérisé par l'allongement des jours et le réchauffement ambiant, la pousse des toutes jeunes feuilles sonne le réveil de nos petites chenilles. En l'espace d'une semaine tout le monde se retrouve attablé à l'unisson, du moins la nuit, car de l'aurore au crépuscule pas un poil ne bouge.
Au fil des jours et des mues, les bestioles croissent, mais plutôt lentement, et sans changements morphologiques radicaux, même si les formes maculées de blanc paraissent en nette augmentation, par rapport aux livrées initiales globalement plutôt brunes.
A l’approche de la transformation en cocon, les chenilles se mettent à s’activer, en recherchant un lieu propice. Ce comportement est fréquent chez les Ecailles qu’on distingue de loin traversant la route goudronnée devant les roues de la voiture. Nos chenilles font de même, en laissant sur la terre du bord des chemins des traces caractéristiques, qui peuvent aider le chasseur initié à les pister comme le faisaient les indiens recherchant les bisons, toutes proportions gardées évidemment. Le jour, leur immobilité est totale. Ce sont de belles grosses bêtes, et je suppose que ce sont elles qui justifient le Gastropacha, le gros ventre épais de la première partie du nom que leur a donné Linné, peut-être en pensant aux gastéropodes ?
Les cocons sont généralement tissés entre les petites branches de l'arbre nourricier. Allongés, assez souvent plus ou moins naviculaires, ils paraissent plutôt petits, du moins en regard de la taille des chenilles. Très peu épais, ils sont dotés d'une texture grossière, et se singularisent par une certaine variabilité de leur coloration, et plus encore par la nature même de cette coloration.
Fondamentalement brun foncé, les cocons de notre "Feuille morte" peuvent en effet comporter des zones sensiblement éclaircies, voire franchement blanchâtres, qui résultent d'une sorte de sécrétion farineuse interpénètrant la trame soyeuse. Là encore le mimétisme est excellent, et il est impossible de trouver un cocon de Feuille morte dans les feuilles restées par terre, tellement le mime est réussi.
La vie nymphale est brève, de l'ordre de deux à trois semaines, et arrive enfin l’été, saison des éclosions. Monsieur une fois né ne songe, comme je vous l’ai abondamment expliqué, qu'à retrouver le beau sexe de sa future moitié, ses réserves lui permettant de se passer de nourriture, à telle enseigne que sa trompe est complètement atrophiée. Vous vous rendez compte : sa vie est brève, certes, mais elle n’est encombrée ni de travail, ni de repas. Il dort toute la journée, et peut consacrer ses nuits à la seule bagatelle !
Les émergences se produisent le plus souvent en fin de journée, et c’est la nuit suivante que commencent les ébats, et que surviennent les accouplements. Là encore nos feuilles mortes prennent leur temps, puisque leurs amours (physiques) peuvent se prolonger durant une bonne dizaine d'heures. Respect comme on dit !
Diversement colorés et très joliment décorés de carrés et points bleus, tels les perles d’un collier, les oeufs sont pondus par petits lots sur les branches et feuilles des arbres nourriciers. Compte tenu de la rondeur abdominale des femelles, et de la petitesse des oeufs, on peut raisonnablement tabler sur une moyenne de quatre cents à cinq cents par ponte, mais il est des femelles pour faire nettement mieux ! Comme souvent dans la nature, on pond un maximum, seuls quelques rares spécimen finissant par survivre. Il n’y a que dans l’espèce humaine que le rejeton survient parfait (enfin presque) du premier coup, parce que l’élimination des moins bons a eu lieu sous forme de spermatozoïde, tout ça au cours de séances cruelles mais intimement cachées.
Voilà une belle feuille morte ; elle arbore un pétiole comme une vraie feuille. Les pattes, les antennes ressemblent à des brindilles. Et puis, il y a les nervures, comme celles d’une feuille. Et un as de l’origami a créé des plis spéciaux pour rabattre les ailes en position de repos, pour imiter un petit tas de feuilles mortes !
Il y a d’autres exemples de mimétisme chez nos papillons.
D’abord il y a un autre Gastropacha, populi, du peuplier. Populus c’est le nom normal, le peuplier. Au génitif, le papillon « du », populus devient populi. C’est le génitif. Il est temps que vous appreniez un peu de latin, où les mots se déclinent suivant leur place dans la phrase. Si on commençait par a comme dans rosa, le génitif donnerait am : rosam. Le papillon en question est un peu banal, un passant dans une foule ordinaire, rien de sensationnel puisque je ne vous parle que d’espèces d’exception !
Par contre sur le peuplier vit un sphinx. Je vous ai un peu parlé des sphinx quand je vous ai présenté Atropos, avec son crâne sur le thorax qui impressionnait le pharaon de Turin. Il y a plein de Sphinx, et je vais vous en parler un peu plus loin.
Eh bien le Sphinx populi est très sympa ; lui aussi cherche à imiter les feuilles, et pour ce faire, il prend une position bizarre, un peu déhanchée, comme cela :
Si l’on y réfléchit, il y a donc eu, à une époque reculée de l’histoire de la vie, « des modes », on dirait nous «des courants », dans le Grand Bureau d’Etudes qui dessine les papillons. Les Chefs de projet tournent là-dedans ! Et arrive un designer qui leur peint des yeux ; et puis un militaire, fana de camouflage. Il en fait des feuilles. Vous avez vu qu’il peut faire des erreurs : inventer des couleurs de l’automne, alors que le bureau voisin du Grand Bureau d’Etudes, celui chargé de l’écologie, envoie l’individu vivre en été ! Toujours ces problèmes de coordination dans les grandes boites. Et Dieu là-haut qui laisse faire ! C’est vraiment partout pareil !
Et puis arrive un astronome : et il dessine Orion…. Et puis un avionneur : il met des queues partout, et teste le nombre idoine de stabilisateurs pour perfectionner le vol comme un Rafale. Le week-end pour se changer des papillons, il tente les mêmes expériences sur Icare ! Tiens, et si on demandait à un japonais de nous faire quelques origami pour voir comment ça fait, ailes repliées ?
Et puis c’est la période des coloristes : alors on voit des sous-courants : des pointillistes qui juxtaposent les points. Des adeptes de Cézanne qui posent des a-plats de couleur. Et puis du vert ; du jaune et de l’orange ; du rose et puis du rouge. Ce qui est bien, c’est que la coordination dans ce cas fonctionne parfaitement, car on a beau chercher, elles sont bien rares les fautes de goût !
Vous voyez pourquoi on ne se lasse jamais d’observer les papillons : ils nous étonnent toujours par l’imagination fertile de leurs concepteurs ; dessinateurs et peintres. Et on retrouve chez eux les qualités, mais aussi les défauts qui marquent l’organisation humaine.
On n’est peut-être pas si différents, nous les humains, et ceux du Bureau d’Etudes, là-haut ! Et les grecs qui les faisaient se rencontrer en permanence, Dieux et hommes, Héros et immortels, n’étaient peut-être pas si fous que ça, avec toutes leurs histoires !
Méditons là-dessus mes amis ; tenez : un petit exercice de réflexion : choisissez donc une feuille, à quoi (à qui ?) vous voudriez ressembler !
Pour un garçon : une feuille de chou ?
Et pour une fille une de rose ?
Pour un monsieur très classique une feuille d’acanthe ?
Pour un fumeur… du tabac.
Pour un sado : une raquette de cactus.
Pour un accro : du coca ?
Pour César, une couronne de... laurier
Pour un académicien : une feuille de chêne
Pour un général d'armée....des glands !
Pour un général d'armée....des glands !
Vous voyez : on y arrive très bien !
ça c'est une chenille du sphinx du peuplier, en méditation tête en bas, en pleine séance de yoga.
elle réfléchit à sa réincarnation ...
...en papillon sans doute...