"Ils" ont oublié de le peindre !
on voit bien que mnemosyne n'est pas fini, à côté de ses cousins sur-détaillés ! |
En langage vulgaire, c’est le semi-apollon, notre troisième après Parnassius apollo ; et phoebus que je vous ai déjà présentés. Vous vous rappelez comme j’étais fier de leurs soleils flamboyants dans les ailes postérieures ? et comme je cherchais l’apparition de taches rouges dans les ailes antérieures ? Et comme j’étais fasciné par les exemplaires himalayens décorés d’ocelles bleus, ou mieux encore bardés de larges plaques jaunes ?
J’avais décidé en mon for intérieur de zapper mnemosyne, et pourtant vous voyez je m’y mets. Quand on respecte l’œuvre de Linné, on ne peut décider par sa seule fantaisie de tirer un trait de plume sur une espèce tout entière, et mnemosyne ne mérite pas d’être reconduit à nos frontières même s’il n’est que semi.
Explication : je ne le kiffe pas trop car quand ils l’ont créé, là-haut, ils ont réussi une symétrie parfaite. Ils ont créé une ossature de nervures impeccable. Mais s’agissant de la décoration, ils ne se sont vraiment pas foulés : un coup de blanc mal fait, tellement qu’ils n’ont même pas peint l’extrémité des ailes qui reste transparente. Quant à la déco : nul, deux taches noires dans les ailes antérieures, mais rien de rien d'autre, même pas une seule ocelle rouge.
Et pourtant c’est un Apollon, par les mœurs de la chenille ; par la chrysalide dans un cocon lâche. Par l’absence de la nervure aux postérieures des Papilio. Par le sphragis des femelles fécondées. Il est un tout petit peu plus petit qu’Apollo. Et donc tout blanc. Comme le tableau de Malévitch : « carré blanc sur fonds blanc ». C’est un papillon pas fini, mais c’est aussi un papillon moderne.
Il est tellement blanc qu’en vol, je l’ai souvent confondu avec le Gazé, qui un peu comme lui a zappé la cabine de peinture. Le gazé n’a aucun rapport avec mnemosyne puisqu’il s’agit d’une piéride. Les chenilles vivent en communauté dans un filet de soie dans les haies d’aubépines. Mais en montagne, il a un vol battu caractéristique qui m’a fait le confondre cent fois avec le semi-apollon. Quelle déception quand on se rapproche, et que l’on comprend sa méprise, puisque les taches noires antérieures manquent !
L’histoire de son nom commence avec les Titans. Les douze titans.
Dans la mythologie grecque, les titans (Τιτάν - Ti-tan; pluriel : Τιτᾶνες - Ti-tânes) étaient une race de plusieurs dieux, descendants de Gaia (la Terre ) et d’ Uranus, au cours de l’âge d’or.
Dans la première génération des douze, les garçons étaient Oceanus, Hyperion, Coeus, Cronus, Crius and Iapetus, et les filles Mnemosyne, Tethys, Theia, Phoebe, Rhea and Themis.
Vous voyez que Linné a puisé là-dedans quelques noms de papillons. Je vous passe la seconde génération de Titans puisqu’on a déjà identifié Mnemosyne, la déesse de la mémoire.
Vous ne serez pas étonné que Zeus la prenne comme maîtresse (j’ignore en qui il s’était déguisé pour parvenir à ses fins), et qu’il couche avec elle neuf nuits. Union réussie évidemment qui donnera neuf enfants, les Muses. Les Muses d’une manière générale président aux arts ; et chantent, renouvelant ainsi et entretenant la mémoire, leur mère.
Mnémosyne, coiffée du nœud pythagoricien, est associée à Léthé, l'oubli. Boire les eaux du fleuve Léthé c'est tout oublier de la vie humaine, ses violences, c’est mourir à un monde infernal pour renaître purifié. Comme je cherche la perfection, et que cette lecture peut vous préparer aux jeux des mille Euros sur France inter le midi, je vous refile le nom des neuf muses, pour vous re-faire découvrir la provenance du nom d’une célèbre voiture Renault :
Clio, muse de l’histoire et maintenant baptisée « grande pour une petite » . Thalie de la comédie. Erato de l’élégie. Euterpe de la musique. Polhymnie de la posésie lyrique. Calliope de l’éloquence. Terpsichore de la danse. Uranie de l’astronomie évidemment. Et Melpomène de la tragédie. Le sarcophage des Muses (c. 160 avant notre ère) les représente au Musée du Louvre.
Elles demeuraient dans les montagnes, en particulier celles de l'Hélicon, en Béotie, et de Piérie, près de l'Olympe. Elles possèdent des voix si belles et leurs chants sont si beaux qu'un jour le mont Hélicon où elles résident se gonfla de plaisir au point d'atteindre le ciel. Pégase, d'un coup de sabot, fit jaillir la source Hippocrène pour qu'il revienne à sa forme initiale. Les Muses étaient associées à Apollon en tant que dieu de la Musique et des Arts. Elles dansaient avec lui et avec d'autres divinités, les Grâces et les Heures, lors des fêtes sur l'Olympe.
Vous savez tout, et vous devinez maintenant pourquoi Linné a choisi le nom de la mère des Muses pour nommer son semi-apollon qui n’a pas d’ocelles rouges mais mériterait d’en avoir. Il a cherché à illustrer le chant, la danse, et l’alliance des Muses avec Apollon lors de parties organisées le samedi soir tout autour du mont Olympe.
Je vous ai dit pourquoi je ne n’ai jamais attrapé beaucoup de mnemosyne. Vous avez vu plus haut ma toute petite boite, et vous l’aurez ainsi repéré dans les deux colonnes de gauche.
J’avais tort sans doute et ai failli tout faire rater ? J’avais en effet un devoir de mémoire s’agissant de ma collection, un devoir pour mes garçons si assidus lors des chasses de leurs dix ans. Et puis ces quelques notes sur mes amis papillons constituent un « exposé », scientifique sans doute pas, littéraire en partie. S’il est réalisé par un étudiant en fin de cycle universitaire, en France (la patrie où l’on parle le français), on appelle cela un master, l’étudiant peut devenir master, butterfly master !
Depuis le temps que j’y pense, il faut que je m’inscrive à la fac !
Quand on voit ce qui se passe en ce moment dans le monde, il y a d’autres devoirs de mémoire plus graves que tout cela : en voici un témoignage poignant, parmi tant d’autres, et encore on est dans les années 1920, après la première guerre mondiale, il y a donc près de cent ans….cent ans...!
Décidément, il ne fallait pas oublier mnemosyne…..