la belle dame ...du chardon...
elle est à droite ! |
Je vous en ai déjà parlé de cette Belle dame, quand je vous ai présenté Vulcain, l’amiral des Vanesses. Elle lui ressemble par des couleurs placées aux mêmes endroits, même si a disparu l’uniforme noir de l’Amiral. Son éclat est beaucoup plus vif, et elle porte avec élégance sa parure de soirée : elle sait être une belle dame, et elle joue de son charme avec beaucoup d’aisance : c’est une dame du monde !
Et ce n’est pas un simple de jeu de mots : elle est cosmopolite, puisqu’elle vole dans tous les pays sauf en Amérique du sud. On la rencontre toute l’année dans nos régions du midi, sauf en automne où elle disparaît. De nouveaux individus reviennent, au printemps suivant, des régions les plus chaudes.
Cela s’explique aisément quand on connaît les migrations extraordinaires auxquelles se livre ce papillon.
La littérature fourmille d’anecdotes à ce sujet : en juin 1879, vous voyez que ce n’est pas hier, on signale en de très nombreux points de la France ; de la Suisse ; et de l’Espagne, le passage d’une vraie armée de Belles-dames qui certaines régions, formaient des nuées abondantes. A l’observatoire du Puy de Dôme, coiffé d’un ancien temple de Mercure (nous y avons organisé l’assemblée générale des directeurs départementaux de l’Agriculture de France, lors de leur congrès annuel), le passage des vanesses a eu lieu le 15 juin. Il a duré de deux heures du matin à deux heures du soir. « Les papillons ne volaient pas en masses serrées, mais par groupes de deux ; trois, quatre ; cinq ou six ». J’en ai compté raconte le narrateur jusqu’à deux cent quatre vingt qui ont passé devant moi en cinq minutes sur un front de neuf mètres. La largeur de la colonne qu’ils formaient dans leur ensemble à la hauteur de Clermont était au moins de huit kilomètres ! Quoiqu’il en soit, en se basant sur des chiffres moyens, le nombre des papillons formant la colonne pouvait être de trois millions environ. Les insectes se dirigeaient tous vers le sud, avec un vol rapide, à un mètre ou deux au-dessus du sol. Ils ne s’arrêtaient même pas pour butiner…
Moi j’ai vécu une expérience un peu semblable à Bastia. Je côtoyais en effet dans la plaine orientale le service de la protection des végétaux, service auquel on fait appel à tout bout de champ, dès qu’il s’agit d’un événement particulier manifestant une existence quelconque dans la nature : un essaim de guêpes ou d’abeilles ; un insecte prédateur dont on ignore le nom. Les vols d’étourneaux qui détruisent les récoltes, et qu’il faut effaroucher avec des pétards. Les ragondins qui détruisent les berges des canaux et qu’il faut piéger…
Le service devait être désert, comme souvent quand les techniciens sont en tournée. Alors on appelle la DDA , et quand la standardiste ne sait répondre, elle m’appelle bien entendu :
-« une dame dit que son champ est envahi de chenilles : qu’est-ce que je réponds ? »
La standardiste s’appelait Oliva. Elle était nationaliste, et connaissait tout le monde en Corse évidemment. Je devais être à la hauteur, et tout savoir, pour justifier mon statut de haut fonctionnaire-continental-occupant-ce-beau-pays-alors-que-j’aurais-du-faire-carrière-sur-le-continent, mais bref. Je lui réponds :
-« demandez à cette dame sur quelle plante elle voit ces chenilles ? »
-« sur des chardons, il y en a plein, et la dame a peur : elles ont plein de piquants »
-« alors dites lui que ce sont certainement des Belles-dames. Les chenilles vont rapidement disparaître, pour se transformer en chrysalides, qui deviendront des papillons ; qu’elle n’ait pas peur, les chenilles ne font pas mal ! »
Moins mal assurément que les amis, parents, et relations diverses de la dame (la vraie qui m’interrogeait) qui déposent des détonateurs le soir devant la porte des continentaux !
Car si le climat et d’autres circonstances favorisent exceptionnellement la multiplication des chenilles d’une espèce, la larve peut pulluler et dévorer les plantes nourricières. Mieux que des ânes, les chenilles mangeaient donc les chardons de la dame. Elle aurait du s’en réjouir ! Les innombrables femelles nées ensuite des innombrables chenilles sont fécondées par d’innombrables messieurs, et par un instinct remarquable, toujours l’instinct et le patrimoine génétique, émigrent à des milliers de kilomètres, pour retrouver les plantes qui nourriront leurs descendants.
Nos Belle-dames émigraient donc, comme les Corses l’ont toujours fait eux-mêmes, créant des colonies, à Nice ; Marseille ; Paris, ou Buenos Aires, ce qu’on appelle tout bêtement la diaspora.
On a pu provoquer artificiellement des migrations semblables de criquets en élevant leurs larves dans un milieu surchargé d’autres congénères. Et on a vu que notre Belle-dame Alexanor, faisait de même quand le ptychotis devenait rare.
On comprend aisément que la régulation des naissances soit un phénomène courant de la vie, de la vie tout court, et que nous les humains n’y échappions pas. Nous sommes déjà six milliards et demi d’habitants sur la planète, et ne pourrons que tourner en rond comme des migrants que nous deviendrons, quand la nourriture fera défaut.
« Et ceci est exactement la même histoire » (n’a pas dit Kipling !)
Quand je vous ai raconté plus haut l’histoire de notre venue en Arles, pour chercher Thaïs, je vous ai raconté d’autres histoires de dames, de Belle-dames aussi, mais dans un genre très humain cette fois-ci. Je suis sorti du domaine strict des sciences naturelles, et ai évoqué devant vous un sujet sensible et sulfureux, quand je vous ai parlé du temple d’Aphrodite de Corinthe, le pays du raisin, de l’isthme du Péloponnèse et du temple dorique d’Apollon. J’imagine que ce temple était fréquenté par les dames désirant y confesser leurs péchés, tandis que le temple d’Aphrodite était rempli de Belles-dames, attraction de riches Messieurs venus prier Aphrodite et y pécher (pour pouvoir se confesser après).
Je me ballade à Toulouse après la séance chez le kiné pour faire durer mon dos abîmé, en attendant l’heure du train pour rentrer chez moi. C’est commode, il faut seulement une heure pour faire le trajet, exactement le temps que je mettais à Paris en métro pour rejoindre mon studio rue du Chevaleret. Résidant à 5Go, je simule être un parisien qui prend le métro pour aller en ville à Toulouse ; c’est hyper cool disent les jeunes dans leur langage d’aujourd’hui : habiter quasiment en campagne à la cote 450m dans l’air pur des montagnes, pouvoir aller en une heure à pied au Musée Saint-Raymond, voir les antiques de Chiragan, et revenir toujours sans voiture chez soi !
Je vais rue du Périgord, car j’adore la bibliothèque municipale Art-Déco, avec ses deux statues féminines des années 20 à l’entrée, la verrière éclatante, et le dôme de la grande salle lumineuse. Je fouille les revues, et tombe sur la dernière parution des Musées Nationaux.
Et sur cet article :
« 27/6/08 – Acquisition– Paris, Musée d'Orsay – C'est un chef-d'œuvre étrange et dérangeant que vient d'acquérir le Musée d'Orsay dans la vente Sotheby's Paris du 25 juin 2008 pour 456.750 € (avec les frais). La représentation de cette femme nue assise, les jambes croisées, ne portant en guise de vêtements que des bijoux, laisse une impression inoubliable. La peinture couleur chair et le canon classique donnent à cette personnification de la ville de Corinthe un aspect réaliste très fort, malgré sa taille réduite. Dans le même temps, la recherche de la pose, le regard perçant, le raffinement des bijoux, transforment cette figure en une image de la femme fatale, mystérieuse et vénéneuse, comme l'affectionnaient les artistes symbolistes.
Corinthe est une des dernières œuvres de Gérôme, réalisée en 1903-1904. Le plâtre polychrome acquis par Orsay provient directement des descendants du sculpteur. Le marbre, resté inachevé, fut terminé par son assistant Emile Decorchement et exposé au Salon de 1904, placé au sommet d'une colonne, corinthienne évidemment. Au moins une autre version en marbre et six exemplaires en bronze, forcément posthumes, sont conservés.
Jean-Léon Gérôme s'était fait une spécialité des sculptures polychromes, grâce à l'utilisation de marbres teintés souvent mêlés au bronze ou à d'autres matériaux, précieux ou non (les bijoux de Corinthe sont en cire). Orsay possède ainsi le Buste de Sarah Bernhardt et une Figure Chryséléphantine, Vesoul une sculpture de Bellone et Caen une Joueuse de boules ».
Mais on le connaît habituellement davantage peintre que sculpteur.
La photographie de son atelier fait penser à l’atmosphère que l’on peut encore découvrir aujourd’hui dans l’ancienne résidence de Gustave Moreau, rue La Rochefoucauld dans le neuvième arrondissement. On y voit des odalisques, au bain dans un hammam ou vendues (quelle horreur) au marché aux esclaves. On y voit le sculpteur amoureux de son modèle. On y voit de fort jolies anatomies. Et on y voit Corinthe, perchée sur son chapiteau, du même style naturellement avec les célèbres feuilles d’acanthe, dommage, je ne connais pas de chenilles qui les mangent.
C’est manifestement une Belle-dame, dans une tenue étonnante puisque parée de ses …
…seuls bijoux.
Voilà, j’ai tenté de vous laisser imaginer l’ambiance dans laquelle pouvaient se dérouler les manifestations du culte d’Aphrodite, à Corinthe, il y a deux mille cinq cents ans, une ambiance où les statues étaient peintes, mais où les dames, les belle-dames, étaient bien vivantes si l’on en croit les récits antiques !
Je ne voudrais pas que vous vous mépreniez ! Il y avait d’autres curiosités à Corinthe :
Antiphon a vécu de –480 à -411 av. J.C. Je sais, c’est difficile de compter en nombres négatifs, puisque nous sommes bien avant Jésus-Christ. C’était 2489 ans avant la rédaction de ces petites histoires ! Plutarque écrit qu’Antiphon avait à Corinthe, près de l’Agora, une maison avec une enseigne, qui annonçait qu’il avait le pouvoir de guérir les maladies par le pouvoir des mots. Un précurseur de la pub, en somme, et de la psychanalyse avant l’heure, Il encourageait le patient à parler de ses souffrances et ensuite, l’aidait en utilisant une rhétorique qui reprenait à la fois et le style et le contenu des propos du malade. Aujourd’hui, on fait appel à un soutien psychologique dès qu’il nous arrive un accident, et vous voyez que bien avant notre ère, Antiphon pratiquait de la même manière. Je vous ai expliqué tout à l’heure (mais vous ne m’avez pas tout a fait cru, j’en ai bien conscience), que l’ocytonine pouvait être secrétée par le corps en fonction des paroles que nous étions amenés à entendre, provoquant chez nous le bien-être bienfaisant.
Dans le langage moderne issu de la Programmation Neuro-Linguistique (P.N.L), nous nous bornons à répéter la méthode d’Antiphon réussissant à modifier l’image pathogène du monde qu’a le patient.
Autrefois, quand on allait à Corinthe, vous voyez qu’on avait le choix :
Mieux valait ne pas se tromper d’adresse !