jeudi 30 décembre 2010

Parnassius Apollo, le roi des Pyrénées

et aussi de Venise !


voici mes deux grandes boites d'Apollo
Anne m'a peint plusieurs pochettes de soie luxueuses comme vous le voyez !
Nous avons pris celle-ci comme emblème de la villa (romaine)


Parnassius Apollo, le roi des Pyrénées,


Si l’on veut découvrir le monde des papillons, naturellement on va acheter des livres spécialisés. Ce qui n’empêche pas de surfer sur internet, où amateurs et scientifiques nous  offrent des photos merveilleuses. Mais les livres du moins au début, facilitent l’accès au sujet, parce que l’ordre y est immuable, et que les espèces sont rigoureusement classées : diurnes pour les gens qui comme vous et moi vivent le jour. Nocturnes pour les noctambules (on peut difficilement faire l’un et l’autre, et la majorité néglige les nocturnes). Bon.

Dans ce classement des papillons, les livres commencent généralement par les Papilio. Je suppose que c’est parce que ce sont les papillons les plus spectaculaires ? L’exception confirmant la règle, ils n’ont pas tous des postérieures ornées de queues ! C’est le cas d’Apollo.

Nos amis anglais, nous  montrent fièrement dans leur Butterflies of the British Isles le seul Papilio qui vit chez eux, le Swallowtails, (le seul qui supporte la pluie), le papillon orné aux postérieures de queues d’hirondelles, dont nous trouvons les chenilles sur les carottes sauvages ou cultivées des jardins, nommé chez nous Machaon. Ensuite, ils nous montrent l’Apollo. Il est classé à cet endroit car il lui manque aussi la fameuse nervure aux ailes postérieures qui, le papillon ailes fermées, dévoile le corps dans sa nudité. Mais ce n’est pas de chance pour les Britanniques : Apollo ne vit pas chez eux, et ils l’ont annexé uniquement pour faire joli dans leurs livres entomologiques !

Vous savez tous que le mont Parnasse est, dans la mythologie grecque, le lieu de résidence d'Apollon et des neuf Muses. Apollo, le papillon roi des montagnes, roi des Pyrénées, a donc été nommé Parnassius Apollo, l’Apollon du Parnasse, ce qui est un hommage mérité à ses origines princières. Il est de sang bleu.


C’est le seul de nos papillons aux ailes transparentes. Il est tout blanc, couleur de glacier, le blanc étant rehaussé par de gros points noirs aux antérieures. Aux postérieures, deux lunules rouges font le meilleur effet, tout en servant de leurre, comme d’habitude : les oiseaux-chasseurs au lieu de becqueter le corps, n’appréhendent que les lunules  rouges peintes en frontière des ailes  ! Pour les poètes, ce sont des soleils d’un rouge éclatant qui rappellent l’Olympe ! De la soie blanche et grise enveloppe le corps, comme pour le tenir au chaud. Les antennes sont grises, ornées de petits cercles superposés de gris. Très spectaculaire je vous dis.

C’est un habitant des montagnes, et nous en France avons la chance de l’avoir partout où l’altitude dépasse les 1200 mètres, principalement dans le Massif central, les Alpes et nos chères Pyrénées.

Les dessins offrent une grande variabilité. Apollo naturellement, comme toute altesse royale, ne convole pas avec n’importe qui : il recherche l’âme sœur dans un cercle trié sur mesure, vérifie lignage, éducation, relations et éducation stricte de la conjointe, et préfère convoler avec une cousine (de race pure), peut-être même –horreur- une sœur, plutôt qu’avec la première belle fille venue, mais dont le pedigree ne permet pas de remonter à cinq ou six générations ! Du coup, les lignées sont localisées dans des territoires bien identifiés, et finissent au gré du temps par évoluer différemment. C’est ainsi que, mœurs, habitudes, et même costume diffèrent selon l’endroit, dans une grande diversité. Les plus beaux des Apollo sont bien sûr les habitants de l’Himalaya, où la différence d’altitude crée des royaumes spécifiques. Des sous espèces super-colorées apparaissent alors, avec des points bleus en lisière des postérieures ; ou bien des bandes orangées ; ou encore des points rouges dans les ailes antérieures. Quand il y a plein de gros points rouges, la variété s’appelle naturellement : cardinalis ! Quand il y a plein de gros points bleus, on y va carrément dans le superlatif : c’est Parnassius Apollo Imperator ! Moi, je suis fou de Charltonius ! Il a les points noirs tellement gros qu’ils se rejoignent en bandes, pour dessiner une parure de zèbre. Quand il y a une large bande jaune en lisière des ailes postérieures, c’est Autocrator ! Nous nous rendons tous les ans à Lyon, au rendez-vous des amateurs d’insectes qui se nomme évidemment Papilyon, dans une salle nommée salle de la Ficelle ! On y rencontre des collectionneurs qui viennent spécialement d’Asie, et nous présentent  des Apollo prestigieux, qu’on ne trouve qu’au-dessus de 5000 mètres ! Ils se vendent fort chers car ils sont rarissimes.

Pour nous qui vivons dans les Pyrénées, moins étendues et moins hautes que l’Himalaya, nous ne possédons pas de tels phénomènes. Certes, nous recherchons toujours des aberrations, et il y en a de petites, qui grossissent taches noires et rouges, mettent de l’orange dans ce qui devrait être rouge, et nous donnent le sentiment d’être tombés sur l’individu mutant. Une précision, il faut dépasser l’étage des pins à crochets, et nous retrouver dans les éboulis à sédum, au-dessus de 1500 mètres.

Nous avons en tous cas une satisfaction : la femelle est d’habitude différente du mâle car son corps est glabre. Et quand elle s’est accouplée, elle sécrète un onglet corné (le sphragis) sous son abdomen. Eh bien dans notre sous-espèce pyrenaica, dont le royaume est circonscrit aux Pyrénées, le pourtour des antérieures habituellement dépourvu d’écailles (qui crée cette transparence hyaline caractéristique) est suffusé[1] de noir. On dit : « mélanisante ». Il ne faut pas m’en vouloir : j’utilise pile-poil les termes descriptifs des entomologistes, éduqués par Linné à l'utilisation de descriptions anatomiques pointues !

Le vol est très beau : le papillon plane dans les éboulis, et les ailes solides et sèches provoquent un battement caractéristique lors de la remise en route du moteur. Dans une pente, entourée d’escarpements couronnés de sédum, c’est un spectacle d’une rare beauté.

Cela devrait rester un spectacle car, protégé par la convention de Washington sur les espèces menacées, et inscrit si l’on peut dire à l’inventaire des monuments historiques du patrimoine européen, Parnassius Apollo est interdit de chasse.

On ne peut donc que le photographier, et une fois prises relâcher les femelles pour perpétuer l’espèce.

L’auteur a succombé, faute avouée à demi pardonnée, dans les années 1970, à l’élevage de ce bel animal.

Pour cela, il faut trouver une femelle ayant fauté. On la reconnaît vous avez compris, au sphragis qui dénonce ses amours récentes. Prise vivante dans le filet de soie du chasseur, elle est mise une heure environ dans une papillote. Une papillote est une petite enveloppe de papier transparent, celui qu’on mettait autrefois sur les bocaux de confitures (vous voyez bien, tout cela date d’une époque révolue). Quand on chasse les papillons dans la nature, chaque prise est mise dans une papillote pour la protéger. Eh bien la femelle contenue dans la papillote pousse de toutes ses forces avec ses muscles, en tentant de battre des ailes, et lâche souvent, par mégarde,  quelques œufs. De petits œufs bien ronds, gris-blanc, diamètre un voire deux millimètres.

Une fois fait, on relâche la dame qui a bien travaillé, pour lui permettre de poursuivre sa ponte dans la nature. On s’est muni auparavant naturellement d’une petite culture de saxifrages et autres joubarbes, et on y pose les œufs. Il faut que tout cela soit humide sans l’être trop. Donne l’impression de se trouver à 1500 mètres d’altitude. Il vaut mieux procéder à ce genre d’élevage à Gavarnie (ou Saint-Lary ; Luchon-Superbagnères ; Gourette ; Ax les Thermes ; ou encore Font-Romeu…), directement dans son propre chalet, sinon on  s’ennuierait puisque c’est l’été et que les skis et autres raquettes sont remisés pour six mois ! Quelques semaines après peuvent naître de minuscules chenilles, qui subiront les mues habituelles pour devenir grandes. Elles sont assez grosses, gris foncé ornées de petits points rouges. Rien de semblable à Machaon, ni rien de semblable aux parents ! Un cocon lâche posé directement sur le sol abritera la chrysalide sombre. C’est bizarre : nous sommes en montagne : eh bien aucun harnais, aucune dégaine, ne sert à prévenir une chute, alors que nos Papilio de plaine entourent leur chrysalide d’une fine cordelette. L’évolution a fait son office : la chrysalide méfiante  repose directement par terre !

Fin juin, le papillon adulte sortira suivant la formule habituelle, en faisant sauter le cylindre de la chrysalide, séchant ses ailes à l’air, et s’adonnera à son passe-temps favori  : les mâles chassant les filles en vol battant et planant, se réfugiant dès seize heures sur les fleurs de chardon du pré fleuri situé en contre bas. C’est là qu’il faut les observer, engourdis par la fraîcheur du soir : on peut les cueillir à la main un par un, car refroidis ils sont peu capables des réactions rapides que leur donne la chaleur du soleil !

Quant aux femelles, sûres de l’effet foudroyant de leurs habituelles phéromones, elles badent, immobiles sur un support. Survient un mâle, elles fusent verticalement, comme propulsées par un ressort ! La percussion se fait en vol, et l’un culbutant l’autre, le couple retombe enlacé dans la pelouse, pour une rencontre fusionnelle disent les livres spécialisés dans les relations amoureuses !

Je suis fasciné par le mécanisme temporel que répète tous les ans la nature : dès que la neige fond, repoussent les plantes annuelles, cela est bien connu. Plus tard vont éclore les papillons, donc notre Apollo. Mais les mâles d’abord. Que des mâles ! Ils se balladent, hument le vent. En réalité comme un chien de chasse ils tentent de détecter à distance une future femelle -émergente. Et ce n’est qu’ensuite que les femelles éclosent. Vous vous rendez compte : elles sont attendu que dans l’ordre il y ait à manger pour la future progéniture ; et qu’il y ait un géniteur disponible et forcément totalement productif, prêt, je devrais dire déchaîné, pour la procréation ! Et donc il arrive souvent que la jeune vierge toute fraîche (et c’est elle que recherche le collectionneur), qui a attendu que les fleurs de sédum éclosent, manifestant l’existence d’un garde-manger garanti pour sa future chenille….

………. s’apparie avec un vieux monsieur, un peu dégarni, car il a patrouillé dans les rochers sans arrêt depuis quelques jours, où la seule compagnie Apollo était des mecs comme lui, sans la moindre nana à se mettre sous la dent !


Quand enfin ils se rencontrent, ils se sautent dessus -sans réfléchir du tout-, et ne réalisent leur différence d’âge qu’ensuite, quand sont finies les consommations !

 Notre meilleur souvenir de Venise, il y a des années (c’était forcément avant 1976), c’était quand pendant les vacances d’été, nous habitions Belluno,  un petit village au sud des Dolomites, à une heure de voiture au nord de Venise. Il y avait là une petite colonie de Parnassius Apollo, sous espèce venitiae, avec de magnifiques ocelles rouges aux postérieures, et de petite soleils écarlates aux antérieures ; c’est là que nous avons découvert l’activité –grivoise- des vieux signori avec les belles starlettes : ça n’aurait pu se passer chez nous, dans nos chères Pyrénées, où nous sommes plus collet-monté.

Nous sommes en effet des authentiques amoureux de la nature : en montagne, nous recherchons les fleurs de chardons, des centaurées et des scabieuses : on peut y surprendre Apollo se délectant de nectar, ou se reposant de ses acrobaties dans les éboulis. Dans ce cas, nous admirons, mais ne touchons à rien, le roi des Pyrénées mérite notre respect ! A la bonne saison, nous focalisons les recherches sur Sedum, Sempervivum et Saxifraga : ces plantes-hôtes hébergent-elles des chenilles ?

La dynastie a-t-elle des héritiers ?

Car Apollo est menacé d’extinction….

Profitons donc du spectacle tant que le Roi règne encore sur nos chères montagnes

voici mes Apollo italiens...mieux : vénitiens !
j'ai conservé au centre l'accouplement du vieux-beau-riche (il vit dans un palais)
avec la jeune starlette



[1] De suffusion : de sub (sous) fusio (épanchement) : Médecine : épanchement d’un liquide hors des vaisseaux qui le contiennent ordinairement.