samedi 15 janvier 2011

Charaxes jasius

Charaxes Jasius

Notre pied noir d’Afrique


ma boite Blanchard...tout dedans, même les mues céphaliques de la chenille avec leur "casque à pointes"
Les Charaxes sont des papillons  Nymphalidés, très puissants, connus des collectionneurs pour leurs deux queues ornant les ailes postérieures, ainsi que leurs couleurs flamboyantes. Pour celui qui collectionne les papillons exotiques, aux latitudes inférieures à celle de la Méditerranée, ils annoncent l’Afrique, la profusion de la vie animale qui l’habite, et la splendeur des insectes de tout poil qu’on y trouve. Des insectes dont les larves peuvent parfois se manger tellement elles sont grosses, que ce soit celles du  coléoptère justement nommé Goliath, ou les chenilles du papillon géant Attacus Atlas. Ce dernier appartient à la famille des Saturnidae, comme notre Saturnia Pyri, et possède lui aussi les quatre lucarnes transparentes en forme de croissant au milieu des quatre ailes. Avec ses trente centimètres, il est vraiment impressionnant. Les papillons diurnes à part les Ornithoptères sont moins grands, et par exemple Papilio Zalmoxis, qui appartient à la famille des Papilio (toujours la nervure postérieure manquante) atteint seize centimètres. Depuis trois cents ans, les collectionneurs voyageant en Afrique prennent les plus beaux spécimens et en remplissent leurs boites. On peut même en acheter dans les ventes aux enchères, sous le nom parfois d’explorateurs célèbres, mais les exemplaires sont souvent vieux, ont perdu leurs couleurs en ayant été exposés à la lumière, et sont du coup dépenaillés et mités. Et pire, ils n’ont pour l’acquéreur pas d’histoire, ce qui explique que l’auteur n’ait jamais voulu succomber au fallacieux plaisir d’en posséder : c’est tellement mieux d’avoir chassé soi-même les papillons de sa collection, ou de les avoir élevés, et d’avoir ainsi pu entrer un peu dans l’intimité de leur curieuse existence.

Les Charaxes ont un thorax épais et robuste qui démontre leur aptitude à voler rapidement et de manière soutenue. Dotés de quatre pattes courtes dans les deux sexes, d'antennes pas très longues et terminées en massue, d'une tête bien développées et relativement massives, ce  sont de redoutables voiliers au vol rapide et direct. La plus part des espèces vivent en région boisée du continent Africain et Asiatique, et principalement en forêt primaire ou dans les environs.

La majorité des espèces mâles vivant en savane et régions boisées ont une tendance à choisir un poste élevé d'observation, tandis que les espèces vivant en forêt établissent un territoire qu'ils patrouillent en se débarrassant d'autres congénères jusqu' à repérer une tige d'arbre qui devient leur poste d'observation et à partir du quel ils poursuivront tout intrus pénétrant sur leur territoire y compris parfois certains oiseaux. Une fois ce perchoir définis, il en chassera tout autre espèce à l'aide de ses ailes antérieures.

Ce poste sert à repérer, a attirer et à courtiser les femelles jusqu'à l'accouplement qui une fois celui-ci terminé verra la femelle s'envoler vers d'autres lieux , le mâle lui restant à son poste sauf pour aller se nourrir, ou être chassé par un autre mâle ou le mauvais temps.

Les femelles sont beaucoup plus difficiles à observer, sauf quand elles recherchent un mâle pour s'accoupler ou les saveurs d'un fruit mur ou de sève attractive.

Les deux sexes sont justement attirés par des fruits murs (bananes, mangues, mais un beau melon avancé peut fort bien faire l’affaire),  les mâles plus particulièrement par les excréments d'animaux sauvages surtout de félins pour les espèces de savanes, voire du poisson, crevettes en état avancé de décomposition, tout comme les Mars aux reflets changeants.

Cette attirance pour les fruits murs et à l'origine de la méthode de piégeage : récupérer tous les fruits de l’été possibles, les laisser bien mûrir pour qu’ils sentent très fort. Les disposer dans une zone où vit le papillon. Et attendre qu’il descende de son perchoir. Tourne autour du festin. Se pose et déploie sa trompe pour se mettre à table.

Nous possédons en France l’un de ces Charaxes : c’est Charaxes Jasius, le pacha à deux queues, la nymphalide de l’arbousier, le Jason, two tailed Pacha en anglais.

Le Machaon, son frère Podalirius et son fils Alexanor ont une queue comme un cerf-volant au bout des postérieures. Mais Jasius, lui, en a deux ! formidable non ? on veut immédiatement voir sur place !

Il est bien évident que l’auteur, une fois installé dans la Provence arlésienne, s’aperçut qu’il y avait une Provence bien plus au sud encore, bien plus proche de la Méditerranée encore : il y avait les Maures autour de Toulon. Des rochers rouges, et le maquis dessus. Nice bien sûr annonçant l’Italie ; plus au sud encore : la Corse, et la Sardaigne. Et des arbousiers dans toutes ces régions : trouvez la plante…. vous trouverez le papillon…. vous trouverez peut-être les œufs. Vous les élèverez … quel challenge !

Impossible de ne pas faire la connaissance intime de Charaxes Jasius !


Quand on réfléchit aux multiples dénominations de ce papillon, en voilà des noms différents, des références mythologiques compliquées, des allusions à la plante nourricière ! Il va nous falloir mettre un peu d’ordre dans tout cela !


Mais qui est donc Charaxes, ce Pacha aux deux queues ?

Y a-t-il eu malice du premier scientifique à lui donner son nom ?

Vous aller voir que c’est une histoire à rebondissements, et que nous allons devoir nous égarer une fois de plus dans la Grèce antique, bien loin de l’univers des papillons, dans un domaine où nos  vieux souvenirs d’éducation classique vont revenir à la surface.

« Charaxes and Charaxus : a Mitylenean, brother to Sappho, who became passionntely fond of the courtesan Rhodope, upon whom he squandered all his possessions, and reduced himself to poverty, and the necessity of piratical excursions. Ovid. Heroid.15,v. 117.- Heroid.2,c.135,&c. »

Voilà ce qu’on trouve grâce à Google, dans a classical dictionary, par John Lemprière.

Charaxes est donc décrit comme le frère de Sapho, c’est un peu inattendu : si l’on poursuit les recherches, on tombe sur des grimoires du Moyen Age qui précisent : « Sapho eut trois freres, à sçavoir Laryque, Euryge & Charaxe, qui, encores qu'ilz fussent freres, tenoient toutesfois contraire & differente place au cueur de nostre Poëtrice : d'autant qu'elle cherissoir & aimoit Larique, de tant plus hayssoit elle Charaxe, contre lequel elle a escrit tant de maux, pour-autant qu'il s'estoit accoquiné apres Rhodope de Thrace la ribaude, de telle façon qu'il avoit despendu la plus grande partie de tout son patrimoine.  Qui est le guerdon dont ceux sont salariez, qui se laissent emmuseler par telles rusées, à sçavoir qu'ilz sont succez par ses Sansues, & qu'il leur fault abandonner l'amitié, concorde & fraternité des leurs, pour s'allier & accoster de telles vermines. Doncques notre Sappho est contraincte de s'estranger de son frere, à cause d'une vilaine. »

Sur la  vilaine en question, Rhodope, le dictionnaire donne l’explication suivante :     

« Ayant été conduite en Égypte par Xanthos de Lesbos, elle fut achetée par Charax, Mytilénien, frère de Sappho, qui l'épousa. Par la suite, elle s'établit à Naucratis, où elle acquit de si grandes richesses en vendant ses faveurs, qu'elle put, dit-on, bâtir à ses frais une pyramide ».

Élien rapporte une anecdote selon laquelle un aigle lui vola une de ses pantoufles alors qu'elle était au bain. L'oiseau laissa néanmoins la pantoufle tomber aux pieds du pharaon Psammétique. Celui-ci frappé de stupeur par la délicatesse de la pantoufle, promit d'épouser la femme à qui cette pantoufle appartenait. Cette anecdote, contée également par Strabon, peut être considérée comme la source du conte de Cendrillon.

N’oublions pas que nous sommes entre 612 et 608 avant Jésus-Christ !

Nous vous avons déjà conté des histoires de courtisanes, et c’est l’occasion de nous attarder sur Sapho, puisque Charaxes n’est jamais que son frère. Un frère un peu macho sans doute, typique des comportements des mâles de l’époque ! Le buste de Sapho a été sculpté par Emmanuele Villanis à Montmartre, dans les années 1910, quand s’expatriant d’Italie il devint français et nous laissa tant de sculptures de jolies femmes, souvent en buste comme c’est le cas de Sapho, ou de Diane avec un croissant de lune dans les cheveux. Il a fallu naturellement que je possède quelques exemplaires de ces œuvres d’art. Vu leur prix, seul le régule, spelter in english est abordable, et comme on n’en trouve pas en vente en France, il a fallu importer un buste d’un antiquaire de Vancouver pour pouvoir en jucher un sur une colonne dans le jardin de la villa Apollo de Saint-Gaudens (autre sculpteur pyrénéen célèbre aux Etats-Unis).

L'île de Lesbos était fertile en bons vins et en belles femmes. Il s'y faisait un grand commerce de l'un et de l'autre. Placée sur la route des colonies grecques de l'Asie Mineure, elle se trouvait être tout à la fois une station et un entrepôt : marchands, voyageurs, matelots, y affluaient de toutes parts. Les mœurs y étaient donc fort dissolues. Dans ce pays trop favorisé du ciel, un sang si beau, des vins si généreux, le climat seul et l'air tantôt alanguissant, tantôt chargé des parfums pénétrants de la mer, développaient la vie sensuelle naturellement. Or, il n'y a pas loin de la vie sensuelle à la vie corrompue. Qu'on y ajoute cette multitude de passagers, gens de mer et gens de commerce ; on comprendra facilement comment cette île put devenir très vite un foyer de débauche, et, pour parler comme les anciens, un « séminaire de courtisanes ».

Sappho avait donc trois frères, Larichos, Charaxe, et Euruguios. Elle était mariée à Kerkylas, un homme très riche qui venait d’Andros, et  donna naissance à une fille qui s’appelait Cleis. Elle avait trois compagnes et amies, Atthis, Telesippa et Mégara ; on l’a aussi accusée d’amours honteuses avec elles. Ses élèves étaient Anagora de Milet, Gongula de Colophon, et Euneika de Salamis. Elle a écrit neuf livres de poésies lyriques. Elle a aussi écrit des épigrammes, des élégies, des iambes et des monodies. C’était une joueuse de harpe. Elle finit sa vie en se jetant dans la mer, par amour pour Phaon de Mitylène.

Sa vie est inséparable de celle des Lesbiennes, mais il est impossible de parler des Lesbiennes sans dire quelques mots de l'histoire des courtisanes grecques. Vous allez voir qu’aujourd’hui, on trahit complètement le sens de ce qu’étaient les lesbiennes à l’origine !

C'était le grand législateur Solon, comme le rapporte Plutarque sur un grand nombre d'autres témoignages, qui avait introduit à Athènes l'usage des courtisanes, afin d'assurer la morale publique. Il en avait fait venir d'Ionie. En effet, ce fut surtout la plus célèbre des colonies ioniennes, Milet, patrie d'Aspasie, qui partagea avec Lesbos, patrie de Sappho, le privilège de fournir à toute la Grèce des courtisanes admirables. - Leur beauté naturelle n'était rien ; c'était l'éducation qui donnait aux courtisanes tout leur prix. Cette éducation était remarquable à beaucoup d'égards.  Elle se divisait en deux branches principales, la gymnastique et la musique. La gymnastique comprenait tout ce qui regarde le corps ; la musique, tout ce qui regarde l'esprit. A la gymnastique proprement dite, qui dégageait la beauté des membres suivant les rythmes naturels, qui en faisait saillir les formes avec proportion et qui les assouplissait en les fortifiant, se rattachait la danse, qui les développait suivant les rythmes de l'art, et qui, outre les mouvements cadencés et les poses harmonieuses, enseignait les poses lascives et les mouvements passionnés, ces motus Ionicos dont parle Horace. La danse était la transition et le lien entre l'éducation du corps et l'éducation de l'esprit, car elle se rattachait d'un autre côté à la musique. La musique, comme son nom l'exprime, comprenait tous les arts des muses, c'est-à-dire la poésie, la philosophie, etc., outre la musique même. « La musique, dit Platon, est la partie principale de l'éducation, parce que le nombre et l'harmonie, s'insinuant de bonne heure dans l'âme, s'en emparent et y font entrer avec eux la grâce et le beau. » La poésie était surtout l'expression harmonieuse de l'amour. La philosophie même n'était pour elles qu'un ornement de l'esprit et un assaisonnement aux plaisirs des sens ; d'ailleurs, c'était la philosophie épicurienne et la philosophie cynique qu'elles cultivaient le plus volontiers.

Pour leur donner une éducation si variée et si étendue, on les élevait en commun. Il y avait en quelque sorte des collèges ou des couvents de courtisanes. C'est là qu’on les formait par tous les arts à l'art unique de l'amour, c'est là que par tous les procédés et les raffinements imaginables on les aiguisait pour la volupté. Les courtisanes les plus lettrées et les plus habiles instruisaient les plus jeunes. On entrevoit déjà combien de corruption fermentait au dedans de ces espèces d'écoles avant de se répandre au dehors, et quelles étaient les mœurs des Lesbiennes. Et pourtant, en Grèce, comme en Égypte, comme dans l'Inde, c'était souvent à l'ombre de la religion que ces congrégations se formaient. Un fragment de Pindare, extrêmement joli, célèbre la consécration d'une de ces sortes de couvents à Corinthe, dans le presbytère même, comme nous dirions aujourd'hui, d'un temple de Vénus. II est vrai qu'il y avait dans cette ville, comme à Athènes et à Abydos, des temples à Aphrodite publique. Celui de Corinthe était desservi par plus de mille courtisanes que les habitants et les habitantes avaient ainsi vouées à la déesse. On les appelait les hiérodules, c'est-à-dire les prêtresses ou plutôt les sacristaines du temple. Tous les négociants de la Grèce et de l'Asie qui débarquaient là de l'un et de l'autre côté de l'isthme faisaient de grandes dépenses avec ces femmes. Et je vous ai déjà cité le proverbe : « Ne va pas qui veut à Corinthe. » Cela formait une partie notable de la richesse de cette puissante cité. Les courtisanes prenaient part non-seulement aux fêtes d'Aphrodite, mais aussi à d'autres cérémonies nationales. On le voit, leur éducation était plus qu'une industrie, c'était une institution.

Qu'on se figure donc, au sortir de ces écoles et après de nombreux concours, une courtisane ainsi belle, ainsi ornée de tous les talents et de toutes les grâces, ainsi armée de toutes pièces pour la séduction, ainsi victorieuse entre tant d'autres qui toutes méritaient de vaincre : il faut avouer qu'elle avait son prix. Alors quelque riche marchand, ou bien quelque homme politique, riche aussi par conséquent, l'achetait et l'emmenait dans sa patrie. Elle devenait sa maîtresse, ou même sa femme; ces attributions, très diverses en droit, n'étaient pas toujours très bien définies en fait. Elle partageait sa vie, non-seulement privée, mais publique, pour peu qu'elle eût d'ascendant et d'esprit; elle était son poète, sa musicienne, sa danseuse, son orateur même, et quelquefois, lorsqu'il devait monter à la tribune, elle lui préparait ses discours. Aspasie en fit plusieurs pour Périclès, le plus éloquent de tous les Grecs, pour Périclès, qui demandait aux dieux chaque matin, non pas la sagesse, mais l'élégance du langage, et qu'il ne lui échappât aucune parole qui blessât les oreilles délicates du peuple athénien. Cette élite des courtisanes s'appelait d'un nom particulier, έταϊραι, les maîtresses. Dans les courtisanes proprement dites, dans celles qui n'appartenaient pas à tel ou tel homme, mais se donnaient tour à tour à plusieurs, il y a lieu de distinguer plusieurs variétés : les unes, qui avaient de l'esprit, ne se prostituaient pas sans choix et sans élégance; elles tournaient en art cet affreux métier et mêlaient quelque grâce à ces turpitudes; elles se promenaient magnifiquement vêtues, tenant à la main ou entre leurs lèvres une petite branche de myrte. Les autres allaient dans les banquets danser et jouer de la flûte ou de la lyre. D'autres encore, sans esprit, sans éducation, avides de gain et de débauche, se vendaient à tous au hasard.


On a évoqué la sœur de Charaxes, on n’a pas encore parlé de Jasius !

Qu’en dit le dictionnaire anglais de tout à l’heure ?

Iasion and Iasius, a son of Jupiter and Electra, one of the Atlantides, who regned over part of Arcadia, where he diligently applied himself to agriculture. He married the goodess Cybele, or Ceres, and all the gods where present at the celebration of his nuptials. He had by Ceres two sons, Philomelus and Plutus, to whom some have adde a third, Corybas, ho introduced the worship and mysteries of his mother in Phrygia. He had also a daughter, whom he exposed as soon as born, saying that he would raise only male children. The child, who was suckled by a she-bear and preserved, rendered herself famous afterwards under the name of Atalanta. Jasion was killed with a thunderbolt of Jupiter, and ranked among the gods after death, by the inhabitants of Arcadia. H siod, Theog.970 – Virg. Aen 3, v.168 – Hygin.Poet.2,c.4

Vous voyez bien qu’on ne parle que de Jasius, et non pas de Jason (et des argonautes) ! C’est donc une erreur de nommer Charaxes Jasius : Jason !

En tous cas, c’est la nymphalide de l’arbousier !

Arbutus unedo, Arbousier, Arbre aux fraises, est appelé dans le Sud Arbous ou Darbous.

Il appartient à la famille des Ericacées (Ericaceae).

Il forme des arbustes à feuillage persistant pouvant atteindre 12 m mais souvent moins, de forme buissonnante, dense, basse et arrondie, aux branches tordues. L’écorce brun terne, rougeâtre, est mince, fissurée, s'exfoliant en copeaux ressemblant à de fines écailles. Les feuilles sont oblongues lancéolées, elliptiques, à pétiole court, luisantes, dentées, coriaces, glabres excepté à la base,  vert foncé, de 4 à 11 cm par 1,5 à 4 cm. Les fleurs sont regroupées  par 15 à 30 en panicules terminales pendantes mesurant jusqu'à 5 cm. Elles sont blanches, souvent teintées de vert ou de rose, campanulées (en clochettes) et urcéolées (pétales soudés), rétrécies vers le haut, à lobes récurvés, de 8 à 9 mm de long, à parfum de miel. Leur calice de 1,5 mm est à lobes arrondis. Les sépales sont courts (1,5 mm) , triangulaires, verts ou rougeâtres.

Le fruit est une baie globuleuse de 15 à 20 cm de diamètre, couvert de renflements coniques, passant du jaune à l'écarlate puis au cramoisi foncé, ressemblant à des fraises, en grappes pendantes. Il n'a que l'aspect des fraises, son goût est un peu fade et sa pulpe remplie de granulés cellulosiques, comme celle des poires pierreuses, dissuade les gourmands d'où le nom d'espèce unedo littéralement "je n'en mange qu'une " !

Ils sont utilisés dans les confitures et gelées après extraction des graines abrasives pour l'estomac, et  servent parfois à préparer une boisson alcoolisée, vin ou liqueur. Au Portugal : le medronho.

Les feuilles astringentes et diurétiques ont des propriétés antiseptiques. L'écorce contenant des tanins contribue à combattre la diarrhée. Peut aider à réduire l'artériosclérose et à soulager le foie surmené. Les fleurs sont antipyrétiques (font baisser la fièvre et favorisent la transpiration).

Racines, écorce et feuille ont des propriétés astringentes, diurétiques, anti-inflammatoires et antiseptiques. La décoction de racine combat l'hypertension. La décoction de feuilles et de rameaux est utilisée en cas d'inflammation des voies urinaires. Feuilles, fruits et écorce ont été utilisés pour le tannage du cuir. Le bois dur fait un charbon de bois de qualité.

Après un incendie, il émet rapidement des rejets de la base sous forme d'une gerbe de rameaux nombreux et droits. C'est une des espèces pilotes du maquis élevé car il prépare le retour du chêne vert ou du chêne liège, ce dernier souffrant moins en cas de feu car protégé par son écorce.

Il vit dans le maquis, constitué de fourrés à feuillages persistants, lisières de bois, pentes rocailleuses, généralement sur sols acides mais tolérant le calcaire, sols dolomitiques,  sols décalcifiés (crêtes fortes ou pentes par exemple).

C’est un des représentants les plus caractéristiques de la forêt sclérophylle (feuilles sempervirentes, persistantes, bien adaptées au climat) de la végétation à feuillage persistant de Méditerranée.


Combien de fois sommes nous allés autour de Toulon fouiller, avec de vieux melons odorants, le maquis, et explorer les arbousiers, espérant être la cible d’un vigile-Jasius nous surveillant depuis son perchoir, pour nous expulser de son territoire, mais ainsi se découvrir et nous montrer sa cachette ! Sans résultat : chasser les papillons suppose les déranger pile dans leur période de vol, et on ne se promène pas autour de Toulon dans les arbousiers aussi souvent qu’il serait nécessaire !

Les Dottore jouent dans nos histoires un rôle non négligeable : je connaissais pour avoir correspondu avec lui par l’entremise de la revue Alexanor à laquelle nous étions tous les deux abonnés, le docteur Ney entomologiste passionné. Célibataire, il habitait avec sa vieille maman Toulon, et consacrait ses nombreux temps libres puisqu’il n’avait pas de famille, à la chasse aux papillons.

Il me téléphone un jour d’été pour me dire qu’il passe par Arles, et me réserve une surprise. De taille en effet : il arrive avec un bouquet de tiges d’arbousiers. Rien de si particulier à priori. Mais il retourne une à une les feuilles, pour me faire voir les petits œufs sphériques derrière certaines d’entre elles : le dottore savait repérer les œufs dans les arbres !

-« vous vouliez voir Charaxes Jasius ? vous allez pouvoir l’élever » !

Le pied…..le rêve…et à domicile en plus !


 
Les petites chenilles éclosent. Elles sont vertes, parfaitement invisibles sur le vert des feuilles comme d’habitude. Curieusement, elles ont la tête protégée par une espèce de masque, souvenir des guerriers grecs peut-être ? Un masque lui-même surmonté par quatre minuscules protubérances, deux de chaque côté, préfigurant les deux fois deux queues de l’adulte.

A la première mue, le masque tombe, c’est le cas de le dire. Mais la nouvelle chenille plus grande que la première retrouve un nouveau masque, fabriqué de la même manière, une capsule céphalique, avec deux fois deux pointes tournées vers le haut. Dessous pas de problème les mandibules saillent, et attaquent la tranche des feuilles avec détermination. Il m’en sort une bonne trentaine de chenilles, et les feuilles sont rongées avec efficacité. Le bouquet de feuilles d’origine sèche rapidement. Panique : il faut de la nourriture fraîche !

Il n’y a quasiment pas d’arbousiers en Arles, sauf peut-être dans quelques rares jardins. Mais il faut une fois repérés aller voir le propriétaire, lui expliquer qu’on élève le Pacha à deux queues. Il faut le convaincre qu’il ne s’agit pas d’une farce ces deux queues, et qu’on élève vraiment des papillons. C’est vraiment trop compliqué, les Arlésiens imaginant tout de suite qu’on leur fait je ne sais quelle blague. On doit se rabattre sur la première jardinerie :

-« Monsieur, avez vous un arbousier en pot pour planter dans mon jardin » ?

Premier arbousier en pot. Les chenilles ont craint de manquer de feuilles et se jettent sur la nourriture fraîche avec la détermination de celles qui veulent rattraper le temps perdu. Elles se calment tout à coup. Ouf ! La seconde mue arrive et une seconde capsule céphalique tombe par terre ; ce n’était qu’un faux répit ! Elles ressortent de là plus grandes et plus gourmandes ! Retour en jardinerie :

-« je voudrais un second arbousier… »

-« Qu’à cela ne tienne Monsieur ! »

Je me rappelle qu’en tout j’ai acheté cinq pots. Un par mue ; et j’ai récolté cinq masques nègres, genre arts premiers comme dans le  Musée de Chirac, de plus en plus gros, à la taille de chaque mue de la chenille. Adulte celle-ci est une grosse limace verte, avec une rayure longitudinale vert pâle qui imite la nervure centrale de la feuille ; et de petites rayures qui en partent, en arêtes de poisson, comme celles de la feuille. Si bien que même sur un pot dans le salon, quand les chenilles se sont calées pile sur la feuille, nervures superposées, elles sont quasi invisibles !

In fine la chenille s’accroche par l’apex sur la même nervure, sur une petite pelote de laine, sous la feuille, tête en bas. Quelque temps après, la dernière capsule céphalique tombe, et la chrysalide apparaît, verte et ronde comme un fruit, pendant comme un fruit exotique bien vert.


Je dispose à la fin d’une belle récolte, jusqu’à ce que les chrysalides « mûrissent », prennent une couleur sombre, annonce de naissances proches. Les adultes s’extirpent l’un après l’autre, s’accrochant sur la coque vide de la chrysalide. Celle-ci vidée de son contenu devient transparente. Ils sont d’une taille  imposante, et cachent le marron du dessus de leurs ailes, par le lacis complexe des dessins abstraits du dessous. Et les deux queues apparaissent dressées dans toute leur beauté : des Pacha ! Les femelles sont peut-être un peu plus grandes que leurs maris, et encore plus imposantes.

Voilà un beau papillon d’Afrique, parfaitement assimilé chez nous depuis des générations.

Inféodé à l’arbousier, il ne craint comme son arbre nourricier que les incendies de forêt.

A chaque fois que je vois un canadair se précipiter sur le maquis en feu, vous pensez bien que je pense à Charaxes, à ses œufs, ses chenilles et ses chrysalides : vont-il résister, y en aura-t-il encore longtemps ?

C’est bien que l’arbre repousse en rejets, et que le maquis se régénère.

Mais les insectes qui vivent dessus, s’ils ont brûlé, leur lignée est fichue ?