La carte de géographie
Soyons sympa pour porrima !
à gauche levana ; à droite prorsa. Et au centre....! eh bien...c'est le centre ! |
Arachné (Aracnh) est une jeune lydienne, fille d'Idmon de Colophon, un teinturier de pourpre, qui osa défier Athéna dans l'art de la tapisserie.
Athéna se présenta une première fois sous l'aspect d'une vieille femme et lui conseilla d'être un peu plus modeste. Mais la jeune fille ne tint pas compte des conseils, alors un concours eut lieu entre les deux femmes.
Tandis qu'Athéna tissait une toile qui représentait la majesté des douze dieux de l'Olympe avec aux quatre coins des mortels présomptueux, Arachné osa représenter la vie scandaleuse des dieux. Mais son travail était superbe, et la déesse ne découvrit aucun défaut alors, irritée, elle frappa Arachné avec sa navette et mis en pièce le travail de sa rivale.
Désespérée, Arachné se pendit mais Athéna la métamorphosa en une araignée suspendue à sa toile. A sa toile d’araignée donc.
Comme la toile dont on a l’impression de voir les fils sous les ailes de la Carte de géographie : « O tempora mores », autre temps, autre mœurs : plus rationalistes que Linné, nos nommeurs de papillons ont préféré voir sous les ailes de notre papillon une carte de géographie.
« La carte géographique est un papillon de la famille des Nymphalidae. Son nom provient du motif de réseau de traits blancs qui orne le revers de l'aile et évoque un réseau routier sur une carte. » Voilà l’interprétation contemporaine : on a ajouté le réseau routier ! On n’arrête pas le progrès ! Tout cela se passe sous une aile dont la longueur est de 16 à 19 mm , donc pas très grande.
Ce qui est frappant dans cette espèce, est le fort dimorphisme saisonnier. Chaque année, les générations successives manifestent un dimorphisme, tellement fort qu’on a cru au début qu’il s’agissait d’espèces différentes :
- les individus nés au printemps (forme dite « levana ») sont clairs, au dessus orangé fortement dessiné de noir (couleurs également présentes sur la chenille),
- ceux de la génération estivale (forme dite « prorsa ») sont noirs avec une bande blanche avec étroite ligne sub-marginale rouge foncée, le dessous étant violacé parcouru du fameux réseau de traits blancs de toile d’araignée.
- et comme toujours, les collectionneurs adorent, une aberration existe qui n’est ni de printemps, ni d’été, mais juste au milieu dirait un certain parti politique : c’est la forme dite « porrima LINNÉ », noire à bandes fauves, qui est rare donc d’autant plus précieuse !
Levana: In Roman mythology, Levana ("lifter") was the goddess of newborn babies. Her name comes from the practice of the father lifting the child off the ground where it was placed by the child's mother to show that he officially accepts the child as his own.
Linné une fois encore a agi avec perspicacité en nommant levana la première génération du printemps. On la voit voler en avril-mai, et elle pond sur la grande ortie (Urtica dioica).
Cette ponte est sensationnelle car les œufs se superposent les uns sur les autres en alignement de dix à vingt, formant une petite colonne blanche gracile très visible pour l’éleveur, sous la feuille d’ortie. C’est à ce moment qu’il faut mettre la grande ortie en cage, (sans se faire piquer) et laisser faire la nature.
Les chenilles vont sortir des œufs en mai-juin, dévorer les orties avec leur voracité habituelle, muer toutes ensemble comme toujours, et se pendre comme les vanesses pour se transformer en mignonnes chrysalides suspendues au plafond de la cage.
voyez comme les chenilles de vanessa se ressemblent toutes ! |
Il s’est sûrement passé quelque chose avec les déesses assistant les accouchées : seuls comme d’habitude les Anglophones ont le droit de savoir : “In Roman mythology, Prorsa Postverta was the goddess of women in labor. She took care of the position of the child, forward or backwards, in the womb. Eh bien c’est ça !
Early Roman Mythology focused on the interlocking and complex interrelations between gods and humans. In this, the Romans maintained a large selection of divinities with unusually specific areas of authority. A sub-group of deities covered the general realm of infancy and childhood. In this area, Prorsa Postverta was called upon as a general guardian and tutelary deity of women who are in labor.
Voilà nos parturientes en train d’accoucher, elles se mettent sous la protection de Prorsa. C’est bien normal. Ce qui ne l’est pas, c’est qu’elles nous sortent un rejeton noir quand on attendait un blond ! Flûte, dit le père anxieux ! Prorsa s’est plantée ! Aujourd’hui, il ferait un recours en justice !
Est-il de moi ? Comme le dit la maxime : « seule la mère est certaine de l’être ».
Le père lui doit toujours conserver un doute modeste, du moins s’il est objectif !
Le père, on le sent très irritable dans toute cette affaire : il a un comportement territorial typique : dès qu’il voit un concurrent, c’est des poursuites et des éloignements, pour effaroucher tous ces métèques qui traînent devant les lisières et au dessus des buissons, alors qu’ils n’ont rien à y faire !
Sans doute le pire pour lui, est de voir arriver une autre éventualité : la naissance de porrima, qui ne sont ni blonds, ni noirs, mais sang-mêlés. Des métèques d’origine incertaine, dont la venue est vexatoire dans tous les cas, y compris s’il doit en reconnaître l’entière paternité !
Quoique, s’il se regarde lui-même à la seconde génération : il est devenu noir aussi. C’est dur mais au moins ça explique que… Ca n’explique rien du tout puisque l’année d’après, ses enfants vont être blonds… casse-tête garanti !
Qu’en dit Linné ? Vous vous attendez à ce que je vous raconte des histoires pas possibles sur l’accouchement, et sur un accident qui produirait des hybrides ou quelque chose de semblable ayant eu lieu dans les maternités antiques, et patronné par une déesse des hybrides ? J’y ai pensé et je n’avais pas tout à fait tort : Linné en reste à la maïeutique qui est l’art des accouchements, pour simplement distinguer la sortie du bébé tête devant, ou pieds devant et alors vous savez que la sage-femme devrait retourner le bébé auparavant mais ce n’est pas toujours possible : voilà en tous cas une explication qui précise celle qui précède :
Il nous faut faire un détour par Carmen pour y voir finalement clair !
Carmenta ou Carmentis est en effet une divinité romaine, et également prophétesse d'Arcadie. Elle eut de Mercure un fils, Évandre avec lequel elle passa en Italie, où Faunus, roi du Latium, les accueillit favorablement.
C'est à Rome qu'elle reçut le nom de Carmenta. Auparavant, elle s'appelait Nicostraté, Thémis ou Tissandra. Par ce nouveau nom, issu de Carmen (chant magique), Rome reconnaissait ses dons prophétiques. Ce fut elle qui prédit à Hercule son glorieux destin.
Elle était la déesse protectrice des femmes en couches ; les femmes romaines lui rendaient un culte.
Carmenta était accompagnée de deux Camènes manifestement des sage-femmes : Porrima était présente quand l’enfant naissait la tête en premier. Et c’était Postverta quand les pieds se présentaient d’abord. Ovide évoque ces deux cas dans son poème Fasti.
Bon admettons. Linné a joué une fois de plus avec toutes ces histoires sans chercher à être trop logique. J’en déduis que notre Araschnia donne normalement des enfants sortant par la tête, prorsa. Ils sont noirs au lieu d’être levana blonds. De toute façon ils ne sont pas comme ils devraient être. Dans certains cas, ils sortent par les pieds, et alors, ils sont encore différents, et sont : porrima ni blonds ; ni noirs.
Le pauvre père, lui, continue de nous préoccuper : il se demande s’il est bien le géniteur : si non, c’est très vexant, mais ne met pas en cause son intégrité génétique. Si oui, son amour propre est sauf, mais c’est quand-même très emmerdant de concevoir des aberrations !
Dur d’être père !
Il faut lui dire sans aucun doute :
- « cool Raoul ! Faut relativiser ! Tu crois qu’il s’agit de génétique, t’as tort !
Ces formes qui sortent selon la saison : c’est uniquement de la layette ! »
Faut t’y faire, mec : faut admettre qu’une nana, puisse avoir une tenue de printemps. Et qu’elle change de fringues l’été. Ce n’est qu’une histoire de fringues ; ça explique tout : et qu’elle ait une tenue d’intersaison, ta meuf, c’est que normal ! »
Je crois que je me débrouille pas mal en psy-papillon ?
Vous voyez : l’essentiel c’est toujours de parler ! Comme Antiphon de Corinthe, je parle papillon. Après, on relativise, et on va mieux au moral !
J’espère vous avoir convaincu. Pensez aux porrima ! et mettez vous à leur place !
C’est pas marrant non plus : le cygne d’Andersen au milieu des canards ?
Porrima !